• Clichés marseillais

    Note d'intention pour les « Clichés marseillais »

    Clichés marseillais

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


    Depuis le 21 mars, je livre chaque jour un « Cliché marseillais » sur cette page.

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    Ces textes sont comme des instantanés pris sur le vif, ébauchant un portrait subjectif de Marseille. Il y a des lieux et surtout des personnages qui habitent ces lieux. Les personnages sont représentatifs de diverses parties de la population. Ils montrent les bons et les mauvais côtés de la ville.

    L'ensemble est titré « Clichés marseillais » car on est sur des lieux typiques. Typiques au sens de représentatifs d’un type, « modèle idéal, conceptuel, d'une classe d'objets ou d'êtres réels, défini par un ensemble de qualités, de propriétés, de caractères essentiels » comme le définit le Trésor informatisé de la langue française.

    Dans ces lieux, on retrouve des personnages eux aussi typiques : la marchande de légumes, les vieilles Italiennes, l’héritier de collabo, les immigrés en mal de famille, les bazarettes, les gens simples des quartiers, les supporteurs, les pizzaiolos, les aigris et bien sûr... les coiffeuses.

    La coiffeuse qui, en dehors de la mère, de l’amante et du personnel médical, est la seule ayant accès à nos corps. La carrière maudite dont on menace les filles qui ne travaillent pas à l’école. Mais aussi les oreilles plus ou moins attentives des mille tracas et jérémiades de la clientèle. Si l’on analysait ce qu’entendent quotidiennement les coiffeuses, ce serait la mort des SOFRES, BVA et autres instituts. Confidentes de nos humeurs privées ou publiques, elles sont sans doute les dernières surprises de tel ou tel bouleversement électoral, pour ne parler qu’à ce niveau.

    On distingue souvent dans ces textes des personnages en train de disparaître avec les lieux qu’ils habitent ou ont habités, tandis que commencent à poindre de nouveaux lieux habités par de nouvelles populations. Ce sont des situations d’entre-deux, souvent empreintes de nostalgie : comme des plaques tectoniques, le nouveau presse sous l’ancien, veut se faire de la place. Il n’hésitera pas à passer par-dessus, engloutissant au passage lieux et gens. Cette cohabitation conflictuelle temporaire nous interroge dans la mesure où, juxtaposant des éléments très contrastés, elle les renforce en les rendant plus visibles.

    On trouvera aussi Marie, personnage récurrent, contemporain, un peu ballottée par une réalité qui ne lui convient pas tout à fait, trop violente pour elle. Elle est le témoin presque muet des pulsions qui l’environnent et qu’elle vient relever par sa seule présence, au sens d’une épice relevant un plat.

    Situations, lieux et personnages sont rapportés d’une manière objective (c’est du moins l'intention) : peu d’états d’âme, des descriptions, des attitudes, des propos. Ils s'inscrivent dans des contextes plus larges, même s’ils sont à peine esquissés, dans lesquels les personnages sont juste un élément d’une histoire bien plus vaste : la collaboration, la promotion immobilière, l’immigration, l’intolérance... et l’ennui.

    Sur la forme, le choix est de ne pas distinguer, par exemple par une mise en italique, les termes issus du lexique régional, ainsi que les tournures de phrase propres à la syntaxe marseillaise. Ce parti pris est lié au fait que tout cela est utilisé très naturellement et inconsciemment par une bonne partie de la population locale. Ce parler n’est pas propre aux plus anciens ni aux Marseillais d’origine contrôlée, ce qui ne veut plus dire grand-chose aujourd’hui. Il est au contraire vivant au sens où il est largement employé et où il s’enrichit en permanence de nouveaux termes.

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  • Clichés marseillais #60

    Note finale au 20 mai 2020 pour les « Clichés marseillais »

     

    Au bout de ces 59 épisodes, il me faut bien reconnaître que les Clichés marseillais ont dévié de la voie initialement annoncée. Pourquoi et comment ?

    D’abord, au niveau de temps, on est passé d’un regard actuel sur le passé à une narration au présent d’un temps qui est pour l’instant la fin de l’année 1970. Ce présent me semble permettre une narration plus vivante, capable d’entraîner le lecteur non pas dans une vision lointaine, mais d’accompagner les protagonistes dans leur monde, leur temps, leurs lieux, en un mot dans leur vie.
    La forme est devenue moins fragmentaire et plus homogène. Si je considère les fragments comme une forme très puissante pour aborder des sujets de toute nature, ils me convenaient moins pour retracer la vie de mes personnages. Je suis donc passé à quelque chose de beaucoup plus régulier qui peut parfois être plus plat, mais qui est plus adapté au maintien de la tension narrative.
    De nouveaux personnages apparaissent dans l’histoire, à partir de l’épisode #18 : Gigi, Bernard, Roger, Claudine, Stella. Mais on peut déceler des liens avec certains épisodes précédents : Luigi, le grand-père de Gigi, a été présenté au #08 et l’homme en noir des #02 et #16 est sans doute redevable à Gigi, Roger et Ber…
    Il en va de même avec les lieux puisque l’on retrouve le quartier de Menpenti, le salon de coiffure de Marie – qui n’est pas encore née en 1970 – et la Brasserie de Lyon.
    Une histoire est ensuite arrivée, qui n’était pas prévue et qui doit la vie à l’irruption de commentaires de lecteurs. J’ai adoré intégrer dans le récit des éléments nouveaux et de suivre un fil sans savoir où il m’emmènerait. On n’est pas dans une aventure palpitante, intrigante et pleine de rebondissements et je ne crois pas qu’on ait pu y arriver dans la mesure où je suis plus enclin à parler d’ambiances et d’atmosphères.
    Enfin, il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’un premier jet écrit au jour le jour – dans le meilleur des cas le jour pour le lendemain – qui impose une forme particulière dans la mesure où chaque livraison est censée retenir le lecteur et l’engager à poursuivre sa lecture. Le texte est uniquement relu pour une correction orthographique. C’est donc l’objet que normalement personne ne souhaite publier, au sens de « livrer au public ». Les feuilletonistes du XIXe siècle travaillaient de cette façon, ce qui a attiré sur leurs têtes les foudres des littérateurs bienséants comme Sainte-Beuve. Aujourd’hui il faut considérer ça comme un matériau qui pourrait éventuellement être utilisé pour écrire autre chose.
    Pour l’instant, Gigi, Roger et Ber vont s’occuper d’eux. Je ne sais pas s’ils auront envie de repasser par ces pages. Je reste à leur disposition.
    Merci d’avoir suivi le feuilleton des Clichés marseillais, j’espère vous avoir distrait quelques minutes dans cette drôle de période. Et comme disait mon père, "Les plaisanteries les plus courtes sont les moins longues !"

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  • Clichés marseillais #59

    Replay

    Clichés marseillais #59Son procès était pour la mi-février et bien qu’il n’en préoccupât guère, Gigi alla voir l’avocat avec son père et Roger. Après tout, il était encore mineur, on aurait un peu tendance à l’oublier ! Les choses ne se présentent pas trop mal : les témoins de moralité sont prêts, l’avocat aussi. La pression d’une série de structures syndicales, orchestrée par l’organisation, a été payante : plus personne ne peut se permettre de critiquer la manifestation du 5 novembre ni l’attitude Gigi. La violence de la police, confirmée lors des manifestations des semaines suivantes contre le procès de Burgos est unanimement condamnée par les syndicats, les partis de gauche et des personnalités faisant partie de ce que l’on appelle les « démocrates sincères ».
    L’avocat a d’ailleurs organisé un rendez-vous entre Gigi, son père et l’une de ces personnalités. C’est le directeur d’un théâtre marseillais qui il a assisté à l’arrestation et souhaite produire un témoignage écrit car il ne sera pas à Marseille à la date du procès. Il raconte en détail  à Léo, le père de Gigi, la scène à laquelle il a assisté. Au fil du récit, Gigi a l’impression d’assister à un film dont il serait l’un des acteurs. Il se voit arriver en courant dans la rue Papère pour échapper aux flics, s’embroncher dans le cyclo tombé devant lui, les policiers le matraquer. Il se voit lever le bras tenant le court manche du drapeau qu’il tient à la main, pour se protéger, explique la voix off du témoin, on ne voit pas distinctement le manche en bois heurter le visage du policier dont la visière est relevée mais tout de suite après les coups redoublent sur Gigi qui retombe sur le cyclomoteur. C’est alors que deux ou trois hommes en civil arrivent de la Canebière. Deux d’entre eux saisissent Gigi par les bras, le soulèvent sans ménagement, ce sont les mots de la voix off, l’entraînent vers l’avenue tandis que le troisième cingle le dos de Gigi de coups de ce qui s’avère être, quand le groupe passe devant le témoin, un nerf de boeuf. Le témoin est choqué par la violence des coups, par l’arme utilisée, je n’imagine pas, dit-il, que le nerf de boeuf leur est autorisé, il est impressionné par le jeune âge de Gigi, mais c’est vrai qu’aujourd’hui tu me parais moins jeune. Il suit la scène des yeux jusqu’au panier à salade lorsqu’il voit surgir une jeune fille qui tente d’arracher Gigi aux mains des policiers en criant, mais il ne comprend pas ce qu’elle dit, il la voit taper de ses poings contre les portes du fourgon qui viennent de se refermer sur les manifestants arrêtés, jusqu’à ce qu’on l’écarte et que le véhicule démarre.
    – Tu étais complètement sonné ! dit-il à Gigi.
    Léo pensera longtemps que le témoin avait voulu dire que son fils était fou d’avoir fait ça, alors que l’autre disait que Gigi paraissait à moitié inconscient.

    Passons sur le procès au scénario connu d’avance, chacun a joué son rôle, la condamnation est tombée : 800 francs d’amende. Un mois et demi de SMIC net. L’organisation veut payer, Léo remercie mais non, c’est moi qui paye !

    (à suivre)

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  • Clichés marseillais #58

    Dattylos rauques

    Clichés marseillais #58Stella et Roger se sont découvert une soif d’apprendre, de connaître qui jusque-là est restée cachée à leurs yeux. Un peu parce qu’on ne le leur a pas montré, un peu parce qu’ils n’ont pas cherché à voir, c’est vrai. L’organisation est le lieu de leur apprentissage. Mais pas seulement. Ils sont curieux de tout et veulent par exemple savoir comment les militants qu’ils croisent en sont arrivés là. Pour ça, Roger est une source inépuisable. Il aime raconter les histoires et garantit qu’elles sont toutes plus ou moins vraies, sauf celles qui sont plus ou moins fausses… Au début, Stella s’indigne et tient à distinguer le vrai de faux. À quoi Roger répond que ce qui est arrivé aurait pu ne jamais se produire et parfois il s’en est fallu d’un rien que les évènements se déroulent autrement. Quelle importance ?
    Il leur raconte l’histoire de Marco telle que celui-ci la lui a dite. L’histoire se passe à l’automne 1968.

    Marco remarqua d’abord l’odeur, comme des os en train de cuire, un bouillon rance, une odeur grasse pénétrant par les fenêtres entrouvertes du bus et que le mistral n’avait pu disperser, n’ayant pas soufflé depuis des semaines. Des semaines qui suivraient, Marco garderait le souvenir très physique d’un nuage épais s’échappant des savonneries environnantes, collant à la peau et aux vêtements, stagnant sur ce quartier de bord de mer, formant dans le ciel de novembre une calotte grise visible depuis le centre-ville. La ville était maintenant derrière lui, il la quittait, avec tout ce qui l’avait jusque là retenu, l’avait gardé prisonnier.

    Prisonnier de cette petite vie qu’il ne supportait plus, sa famille qui ne le comprenait plus, pas plus qu’il ne la comprenait lui-même, ses amis d’enfance au quartier, dont l’ambition se limitait, comme ils disaient, à « se lever une petite » au Bar Pierre, où ils allaient claquer l’argent de poche généreusement accordé par le papa avocat, notaire ou antiquaire qui achetait ainsi la tranquillité et l’invisibilité du fils. Fils à papa, Marco ne l’était pas mais le clan déteignait parfois sur ses pensées. Pensées vides, penser en rond, penser à rien. Rien ne le retenait, rien ne pourrait l’empêcher de vivre ce qu’il avait décidé de vivre, d’accomplir enfin quelque chose.

    Quelque chose s’était brisé chez lui quelques mois auparavant, en juin, quand il avait vu ces ouvrières de l’usine de dattes, les voix rauques à force de cris, franchir les grandes portes jaune et rouge et rentrer en pleurant pour reprendre le travail après un mois de grève. Grève générale, avait dit le Grand syndicat, alors que les filles avaient quitté la chaîne depuis déjà huit jours et faisaient le tour des usines du coin pour étendre le mouvement. Les mouvements de leurs bras, sans cesse répétés pour empaqueter les fruits collants dans de petites boîtes de carton, c’est ça qui les tuait, attraper les dattes défilant sur le tapis, en disposer quinze au fond de la boîte, à peine moins sur le dessus, en tout ça fait dans les 127 grammes, c’est écrit sur la boîte. La boîte tournait bien à l’époque, un millier de filles épuisées par des mouvements tellement ancrés dans leurs corps qu’un samedi après-midi et un dimanche, leur repos hebdomadaire, ne parvenaient pas à les reposer, et là, après ces jours de grève, elles commençaient juste à les oublier, ces gestes répétitifs, prendre un petit carton à gauche, un paquet de dattes devant sur le tapis, les répartir dans le carton, poser la boîte pleine à droite, recommencer sans fin.

    Fin de partie avaient-elles dit, et une autre vie leur était apparue, comme si un rideau se levait sur un nouvel acte. Acte II, le grand souffle de la grève, tout avait pris de nouvelles dimensions, les filles étaient autre chose que des bras, des voisins venaient les voir, discuter, passer un moment à l’usine, partager un casse-croûte. La croûte d’indifférence se lézardait, les gens dans la ville se mettaient à parler, des sourires revenaient sur les visages d’ordinaire tellement fatigués, usés, un souffle frais pénétrait par les parenthèses ouvertes dans le temps.
    Le temps pourtant jouait contre cette liberté nouvelle, on agitait la peur, de manquer, du désordre, de l’inconnu, de la parole libérée, même chez ceux qui avaient crié « Grève générale ! » sans vraiment y croire, parce que de toute façon la grève était là, parce que la pression montait, qu’ils ne pouvaient plus s’y opposer, en pensant que ça ne prendrait pas et qui maintenant ne savaient pas comment arrêter l’affaire.
    L’affaire était entendue pour Marco qui lui y avait cru, sincère et naïf jusqu’à l’excès, qui avait passé ses jours et ses nuits avec les filles des dattes, les « dattylos » comme il les appelait déjà quand il les emmenait danser avant la grève et l’occupation de l’usine. L’usine était à elles et lui se rendait utile tant qu’il pouvait, une course, un coup de balai, un tour de garde. « Garde rouge » elles l’appelaient, après qu’il leur avait lu quelques pages de son petit livre, avant que tout parte en vrille, qu’elles soient vaincues, que son cœur se brise et qu’il se sente couler, en même temps que coulaient les larmes des filles.
    Les filles après avoir crié, après avoir pleuré, avaient baissé les yeux et Marco n’osait plus les approcher, trop de rêves cassés, trop de déception, trop d’amertume, trop de tout, trop de rien. Rien ne le ramènerait vers ce à quoi il avait cru, avant de se dire cette fois c’est fini, on y est, voilà.

    Voilà d’autres quartiers traversés par le bus, toujours plus loin du centre, sa destination approche, cet appartement loué dans une tour banale au fond du plus banal des quartiers. Pas de quartier, a-t-il décidé, cette fois il veut leur faire payer, dans leur chair, dans leurs os, il va se préparer, se faire oublier, se fondre dans la masse, rejoindre les invisibles, les inexistants,  ceux qui ne sont rien pour ceux qui ont tout, disparaître dans l’anonymat et quand il sera prêt, il agira puis il réapparaîtra, ce sera sur les écrans du journal télévisé, sous les yeux horrifiés de sa famille, de ses amis et des bonnes âmes, entre les images d’une veuve bien mise pleurant son mari lâchement assassiné devant les portes jaune et rouge de son usine et les commentaires indignés de journalistes serviles.

    Roger se tait.
    – Et alors ? demande Stella.
    – Alors, l’histoire est finie.
    – Comment ça, finie, tu n’as pas le droit ! Qu’est-ce qui s’est passé ? Il l’a fait ?
    – C’est important ?
    Stella fixe Roger de ses grands yeux, bouche bée. Ça doit mouliner à toute allure dans sa tête.
    – Non, pas forcément.

    (à suivre)

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  • Clichés marseillais #57

    Il y a des cons partout…

    Clichés marseillais #57Depuis que Stella a rejoint l’organisation, Gigi consacre encore plus de temps à son activité militante. Mme Bazzali, la mère de Stella, apprécie Gigi et sans être au courant dans les détails de l’activité de sa fille, elle se montre bien arrangeante pour lui laisser du temps libre. Elle a une apprentie et le salon n’a pas besoin de trois personnes en permanence.
    – On sait ce que c’est que d’être jeunes !
    Si elle savait que sa fille participait à des opérations olé-olé, elle serait peut-être moins d’accord, mais dans les familles on n’est pas obligé de tout partager ! Elle se dit que c’est un moment – qu’elle ne voit d’ailleurs pas complètement comme un mauvais moment – un moment à passer.
    – Il faut bien jeter sa gourme ! Moi, quand j’étais jeune…

    Stella a intégré l’orga – autant dire les choses comme elles sont dites – en même temps que Josiane, à peu près le même âge, dix-sept ou dix-huit ans, qui travaille comme ouvrière dans un laboratoire pharmaceutique situé rue Benedit. Ce qui a été bizarre pour Gigi, c’est que cette intégration ne s’est pas passée aussi facilement qu’il pouvait le penser. Un ou deux responsables de l’organisation, membres de « la dévé » ont commencé à poser un tas de questions qu’ils n’avaient jamais eu l’idée de poser quand il s’agissait d’intégrer des étudiants ou des profs. Une coiffeuse et une ouvrière, c’est super, mais…
    Oh putain, il a dit « mais » ! Quand tu entends « mais », tu peux être sûr qu’il y a un loup !
    – Je suis pas raciste, mais…
    – Tu n’as pas tort, mais…
    – Je ne suis pas sectaire, mais…
    Alors, le pseudo-intello qui se prend pour la réincarnation de Trotsky en catogan, qu’est-ce qu’il a à dire ?
    – C’est super, mais ont-elles ont le niveau pour rejoindre nos rangs ? Ne faudrait-il pas d’abord nous assurer de leurs fréquentations, de leurs lectures, avant qu’elles ne participent à nos débats, qu’elles ne pèsent sur nos orientations ? On sait le poids de l’idéologie dominante sur les classes défavorisées et ce n’est pas les sous-estimer que de considérer justement l’emprise de la bourgeoisie sur des jeunes travailleuses n’ayant malheureusement pas pu bénéficier d’une éducation leur assurant les capacités pour regarder d’un oeil critique la réalité qui leur est présentée par les mass médias.
    Roger rapporte ça à Gigi, écoeuré de l’attitude de ce soi-disant camarade qui se gargarise de son sacro-saint savoir, que les adhérents de son syndicat considèrent comme un lamentable donneur de leçons et qui est principalement préoccupé par son image et l’influence qu’il pense avoir parmi ses camarades. Lesquels, dit Roger, savent à quoi s’en tenir et ne le calculent plus, le laissent dire tout en se foutant largement de sa gueule. L’intégration de Stella et de  Josiane est donc approuvée à l’unanimité moins une voix.
    – Et puis, ajoute Roger, peur-être qu’il a compris qu’il pourrait pas se les faire, parce que ça aussi c’est une de ses spécialités. C’est malheureux à dire, mais je suis persuadé que ce type a une vraie haine de classe, même s’il jurera les grands dieux que pas du tout ! En plus, c’est le genre à se dire encore plus féministe que les femmes !
    – Et vous faites rien ? C’est normal de garder des gens comme ça dans l’organisation ? demande Gigi.
    – Si ça ne tenait qu’à moi, il y a longtemps qu’on l’aurait renvoyé à ses équations… Il faut croire que même chez nous, il y a des camarades qui se laissent impressionner par les diplômes, par le soi-disant savoir, par les beaux parleurs. Mais on sait à qui on a affaire et crois-moi, il peut toujours parler, c’est comme s’il pissait dans un violon !

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  • Clichés marseillais #56

    Olé-olé !

    Décembre coule, Noël avec dont on évitera de parler, les fêtes sont passées, on a changé d’année et Gigi découvre les joies de la vie militante.
    – De toute façon, tu embauches à sept heures, tu te lèves un peu plus tôt et tu viens coller avec nous. Comme ça, à la fin on te dépose à l’usine.
    Ah ouais, super.
    – On préfère que ce soit toi qui ailles differ aux chantiers à La Ciotat, tu passeras mieux que les copains étudiants avec leurs cheveux longs. C’est à quatre heures et demie, tu as largement le temps avant ton boulot.
    C’est pas faux.
    Il n’y a pas que les coups tordus, il y a tout ce qu’il découvre, l’économie, l’histoire. Ça discute, ça débat, ça coupe parfois les cheveux en quatre et il pense à Stella, ça sodomise de temps en temps les drosophiles et il ne pense à rien.
    Il y a aussi les coups olé-olé. Roger fait partie des organisateurs et il a entraîné Gigi dans son sillage. Les coups olé-olé, c’est ce qui est à la limite du légal. C’est-à-dire tout proche du légal, mais de l’autre côté. Un peu illégal, quoi, s’il faut tout expliquer ! Mais légitime ! Toujours légitime, c’est le critère. Sinon, ça tourne au banditisme et l’organisation ne met jamais un doigt de pied de ce côté-là.
    En décembre s’était tenu à Burgos, en Espagne, un conseil de guerre – il ne mérite aucune majuscule – avec seize accusés nationalistes basques membres d’ETA. Accusés de l’exécution – assassinat, disent-ils – du chef de la police politique de la province de Guipozcoa, ils risquent la peine de mort. La pression internationale monte contre le régime vacillant. À Marseille, une manifestation est organisée selon les mêmes modalités que celle qui a valu à Gigi son arrestation le 5 novembre. Cette fois, c’est un lycéen qui est arrêté et accusé de violence contre un policier. Quelques jours plus tard, deux groupes surgissent sur le cours Lieutaud et cassent d’un côté les vitres de la Banque d’Espagne et la vitrine de l’Office du tourisme espagnol en face. En même temps, des slogans antifranquistes sont bombés sur les murs. Les piétons ont été stoppés de chaque côté, des guetteurs disposés pour prévenir de l’arrivée éventuelle de la police. L’opération dure moins de deux minutes, tout le monde repart tranquillement. Gigi et Roger remontent à Menpenti par le cours Julien, excités comme des puces. Ils sont rejoints par Miguel qui avait insisté pour participer à l’action ; il était parmi les guetteurs.
    La semaine suivante, une banderole géante se déroule depuis l’une des flèches de l’église des Réformés, en haut de la Canebière : Franco assassin ! Il a fallu reconnaître les lieux, trouver l’escalier, gagner la complicité de quelqu’un pour avoir la clé de la porte d’accès, entrer un à un avec la mine recueillie, se fondre dans l’ombre des travées, distraire les quelques présents, ouvrir la porte, monter avec la banderole enroulée autour de la poitrine d’un militant, les cordes autour de la taille de deux autres, les poids pour tendre la banderole dans les poches des imperméables. Quelques camarades, hommes et femmes, restent dans la nef, près de de l’escalier, pour bloquer une éventuelle intervention , des journalistes amis sont prévenus, des photographes postés en haut de la Canebière diffuseront le soir même les images à tous les journaux. La banderole descend plus lentement que prévu, elle s’accroche dans les reliefs de la façade, il faut la remonter en catastrophe et projeter les poids le plus loin possible vers l’avant en laissant filer les cordes et le tissu prend enfin sa place jusqu’en haut du portail d’entrée. Les poseurs ont le temps de redescendre l’escalier et de s’enfuir pendant que les guetteurs posent un antivol sur la porte pour retarder le décrochage. L’opération est un succès, l’image sera partout. Gigi et Roger sont pris d’un fou rire en montant la rue Barbaroux en courant. C’était la première intervention de Stella qui est partie avec les guetteurs par la rue Consolat.

    (à suivre)

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  • Clichés marseillais #55

    Quand Stella s’en mêle

    Clichés marseillais #55Stella, il a envie de lui faire du bien, de la chouchouter, d’être gentil, de lui donner du plaisir, d’être dans ses yeux quand elle tourne la tête, qu’elle se demande s’il est bien là pour elle. Je suis là, Stella, je suis là pour toi, je n’ai pas les mots pour te le dire, mais regarde et tu me trouveras. Stella est une artiste qui crée de l’amour à partir de presque rien. Dans son travail, elle fabrique de la beauté et de la joie. Elle rend un peu plus heureuses des vieilles dames qui n’ont presque plus de cheveux, qui s’adressent un sourire dans le miroir du salon avant de repartir plus assurées d’elles-mêmes. Elle écoute celles qui ont besoin de parler, elle entend des horreurs en prêtant une oreille inattentive qui suffit à maintenir un souffle de vie chez des personnes dont elle se demande parfois si elles méritent encore d’encombrer le monde. Stella est une belle personne. En rencontre-t-on souvent de celles dont on pense qu’elles sont de belles personnes ? Avons-nous le geste pour leur dire qu’on les reconnaît comme telles ? Qu’elles sont en nous, qu’elles vivent en nous et font que nous nous sentons meilleurs ?
    Gigi n’a pas les mots, mais il a les actes. Il sait offrir ce qu’il a de plus précieux, son temps, son attention. En revenant de la rue Navarin, il s’arrête au Royaume de la Chantilly et examine chaque produit avec ce qu’il pense être les yeux de Stella. Aimera-t-elle ces légumes grillés à l’huile d’olive, ce jambon corse, cette mozzarella di buffala ? Peut-il goûter chaque chose avec la bouche de Stella ? C’est plus difficile que de savoir s’il lui donne du plaisir quand ils font l’amour. Quand il embrasse, lèche et suce sa part la plus intime, il sent sous ses mains posées sur son ventre la réponse de ses frémissements, les mouvements de son corps qui vibre, se tend et se relève pour mieux s’offrir. Il est à l’écoute d’un changement dans son souffle, dans le grain de sa peau, dans sa pression contre lui, quand tout son être déroule le discours muet du plaisir. Ils s’étonnent d’avoir trouvé si vite le chemin de l’autre, celui qui leur a été ouvert alors qu’ils ignoraient en avoir la clé.
    Ce soir elle est sortie du salon, a rejoint Gigi chez lui. Une douche pour se débarrasser du travail, des cheveux coupés qui s’insinuent partout, des odeurs cosmétiques et des ragots. Un canapé pour s’acagnarder contre Gigi. Un Martini blanc – avec olive verte, s’il vous plaît – et Brigitte Fontaine dans les oreilles.
    – We are not well, there ? parce qu’ils sont polyglottes anglo-marseillais.
    – A little, my nephew !

    Serrés ainsi sur le canapé, bras et jambes mêlés, c’est une belle image, mais bien vite arrivent les fourmillements et les crampes alors on les libère et Stella en profite pour déballer ce qui lui trotte dans la tête.
    – Tu ne regrettes jamais d’avoir arrêté les études ?
    – Oh là ! Qu’est-ce qui te prend d’un coup ? Elle sort d’où, cette question ?
    – Il me prend que je te connais depuis un moment, Gigi, et que j’ai pas attendu qu’on sorte ensemble pour savoir que tu en as dans le teston et que tu ne t’éclates pas dans ton travail à l’usine.
    – Ça va, c’est pas l’enfer !
    – Peut-être, mais je vois bien que tu es en train de découvrir d’autres choses auprès de Ber, de Roger et de ses copains, et que ça t’intéresse. D’ailleurs, au passage, je te signale que moi aussi, ça m’intéresse, même si vous ne m’avez jamais proposé de participer à vos discussions…
    – Pourquoi tu ne l’as pas dit ?
    – C’est une autre question, t’inquiète, on en reparlera. Et puis ça ne me plaît pas quand je vois que les gens du syndicat cherchent l’embrouille. À à Aix, un copain de Pierre, Rémy, racontait comment des brutes du syndicat sont venues chez lui pour le menacer alors que ses enfants étaient là. Pour les mêmes raisons que pour toi, parce qu’il ouvre un peu trop sa gueule et que ça les défrise.
    – Et donc, la conclusion ?
    – Moi, je dis que d’une, c’est dommage de ne pas aller plus loin alors que tu en es parfaitement capable et que de deux, j’ai pas envie qu’il t’arrive quelque chose. J’y tiens, moi, à ta jolie petite gueule ! Je ne veux pas t’embêter avec ça ce soir, je voulais juste te le dire et qu’on en reparle un de ces jours. En attendant, mon verre est vide, tu manques à tous tes devoirs !

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  • Clichés marseillais #54

    Rue Navarin

    Clichés marseillais #54En sortant du Snick-Snack, Gigi accompagne Roger jusqu’au local de l’organisation où il a une réunion de la Direction de ville. Entre eux, les militants disent « la dévé » et Gigi a mis un moment à comprendre de quoi il s’agissait. Il fait celui qui sait en attendant de comprendre par lui-même. C’est comme avec cette notion d’état ouvrier dégénéré et même « bureaucratiquement dégénéré ». On voit par là qu’il a lu et qu’il pénètre à pas de tortue les arcanes du marxisme révolutionnaire.
    Gigi, c’est le mec qui veut apprendre. Pourquoi n’a-t-il pas poussé les études plus loin ? L’exemple de Claudine ? Sa soeur a envoyé valser le lycée après avoir rencontré « son jeune ». Elle a trouvé cette place à L’Entrecôte et y a fait son trou. Pas forcément la mauvaise boîte : le patron n’est pas chien, les filles sont sympas, le service pas compliqué avec la formule unique, salade aux noix, entrecôte et la sauce secrète que si tu dis que tu la connais c’est que tu es rien qu’un menteur, frites maison à volonté. Il n’y a qu’un vin à la carte, produit par la famille, c’est même pour écouler la production qu’ils ont monté les restaurants ! Pas con… Claudine a bien encapé, elle fait son trou et se retrouve Chef de rang. Salaire correct, tout baigne et c’est à ce moment-là que son jeune se fait la malle. Gigi s’est peut-être senti gêné de rester à la charge de ses parents alors que sa soeur est devenue autonome.  Et voilà ce grand couillon qui largue le lycée six mois avant le bac parce qu’il a trouvé une place chez un menuisier de la Capelette ! Allez, pas la peine de s’engatser, ce qui est fait est fait !
    Mais on parle, on parle et de ce temps ils arrivent rue Navarin, une perpendiculaire à la rue de Lodi, en face le cours Bastide. Une porte – on est brave, on va l’appeler comme ça – 1,40 m de haut, au ras du trottoir. Tout de suite derrière, une volée de quelques marches mène dans ce que l’on veut bien appeler une cave mais qui tient davantage du cafoutche. Deux pièces avec pour seule aération les fentes dans la porte et deux ampoules nues au plafond comme seul éclairage. On trouve ce genre de local au bas des immeubles marseillais traditionnels, des caves avec accès extérieur, le plus souvent loués par des artisans comme lieu de stockage : plombiers, maçons, électriciens. Celui-ci est loué par l’organisation, elle y tient ses réunions en dehors des heures d’ouverture de la Faculté Saint-Charles qui est la résidence attitrée de toute l’extrême-gauche marseillaise. On y trouve deux ronéos Gestetner, une machine à écrire, des stocks d’affiches pas collées, de tracts pas distribués, des balais, des seaux, des drapeaux, des banderoles et tout un matériel de sérigraphie. Roger fait faire le tour du propriétaire – disons plutôt du locataire – et baisse la tête, Gigi, toi que tu es grand, va pas t’ensuquer, les poutres sont basses ! Et attention aux cordes ! Dans la deuxième pièce il y a en effet des cordes tendues entre deux murs, près du plafond.
    – Vous faites la lessive, ici ? demande Gigi.
    – Et qué lessive ? C’est pour les affiches !
    Roger montre sur une étagère tout un matériel de sérigraphie et explique à son collègue comment ça marche.
    – Et au fur à mesure on met les affiches à sécher sur les fils. À la fin, je te dis pas le oaï là-dedans ! Et l’odeur, mon pauvre ! Si tu veux, un jour qu’on en tire une, tu viens donner la main ?
    – C’est ça, je vais y réfléchir… En attendant, je te laisse, je vais un peu voir Claudine avant qu’elle reparte au boulot. Et je vais faire les commissions : ce soir je fais le manger pour Stella.
    – Oh malheureux, c’est du sérieux là ! Qu’est-ce tu lui prépares ? Une soupe de langue ? Allez, va, boulègue, et bonne soirée, hein ?

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  • Clichés marseillais #53

    Canebière - Le Snick-Snack

    Clichés marseillais #53– Ton oncle, il rigole pas avec le pastis ! Pur, il le boit ?
    – Toujours ! Tu lui feras jamais avaler une goutte d’eau.
    – Moi, ça m’a donné soif, en tout cas ! Et il faut que je mange, je suis à moitié empêgué !
    – Choucroute, ça te dit ?
    – Pourquoi pas ? C’est de saison.

    Ils prennent la Canebière à droite en bas de Garribaldi et vingt mètres plus loin, à droite de l'entrée du Cinéac, s’engouffrent dans un escalier bien raide qui conduit à une petite salle meublée de tonneaux transformés en tables et de tabourets hauts. Ils sont dans une cave sous le cinéma.
    – Tu connaissais, le Snick-Snack ? demande Roger.– Je viens des fois en haut, le genre de guérite où ils font les sandwiches, je prends toujours le même : jambon cru, beurre, cornichons entre deux grandes tranches de pain de campagne. Ça te lève bien la faim… Mais je n’étais jamais descendu.
    – Tu pourras plus le dire. Je te conseille la choucroute avec le jarret. Et si tu as encore faim après ça, tarte aux quetsches. Un formidable de bière alsacienne pour faire passer et faï tira ! Et lève-toi la veste que tu vas prendre chaud !

    – Ça roule !

    Commande passée, bière servie, on avance un peu que sinon on est encore là demain, Roger boit une longue gorgée, repose la chope d’un litre.
    – Tu sais que t’ai pas mené ici par hasard ? Tu as vu où on est ?
    – Sous le Cinéac ?
    – C’est ça. Mais est-ce que tu sais ce qu’il y avait, avant ? Ne cherche pas, tu connais pas. Quand je dis avant, c’est avant le 17 mai 1944 parce que le bâtiment a été détruit par le bombardement. Ça, tu en as entendu parler ?
    – Car même, tu me prends pour qui ?
    – Bon. Alors avant, ici, il y  avait un casino.
    – Une épicerie ?
    – Mais qu’il est couillon ! Un casino, une maison de jeu ! Avec music-hall, piste de danse et la plus belle salle de restaurant de Marseille. C’était dans les années trente, la grande époque pour la ville ! Le Tout-Marseille s’y donnait rendez-vous. Tu croisais aussi bien les figures du milieu que les gros bourgeois et les politiques. L’un des propriétaires du Tabaris, ce casino, s’appelait Léon Volterra.
    Les choucroutes arrivent sur la table, énormes, le jarret tanqué au centre.
    – Allez, on attaque. Alors, Voletrra, ça te dit quelque chose ?
    – Les chevaux ?
    – C’est ça ! Aujourd’hui c’est sa veuve, Suzy, qui possède une écurie de chevaux de course. Dans les années trente, son mari est dans le spectacle, il dirige le Casino de Paris, Les Folies-Bergère, le Lido, l’Olympia. À Marseille, il s’occupe du Tabaris. Il a deux associés, Carbone et Spirito.
    – Les gangsters ?
    – Et hommes de main de Simon Sabiani, ex-socialiste, ex-communiste, converti au gangstérisme et au fascisme.
    – Comment ça se fait que tu connaisses tout ça ?
    – C’est là que je voulais en venir. Figure-toi que le dirigeant du Tabaris, c’était mon arrière-grand-père.
    – Déconne ?
    – Comme je te le dis. Tu pourras en parler avec mon père, il habitait en partie sur place parce que sa grand-mère l’a élevé pendant un temps. Ils étaient logés au premier étage. Au-dessus de nos têtes.
    Il vide son formidable.
    – On en reprend un autre ?
    – Allez ! Alors, ton père, tu disais ?
     – Mon père, il était tout minot, il avait une dizaine d’années, mais il se rappelle bien avoir mangé avec Volterra. Ce qu’on n’a jamais su, c’était si Antoine, l’arrière-grand-père, était de mèche ou si les autres l’ont utilisé comme homme de paille. Encore qu’à l’époque, Spirito et Carbone étaient bien connus…
     – Il a dû se faire les couilles en or ?
    – Même pas ! La légende familiale dit que les autres l’ont ruiné et qu’il s’est retrouvé à payole ! Il nous est resté un carton plein de jeux de cartes et une boîte de jetons de roulette. Les cartes, on s’est amusé, avec ma soeur, à ouvrir les paquets et à jeter les cartes en l’air. Les jetons, mes parents les ont toujours, ils s’en servent quand ils jouent à la belote.
    – Il s’est bien fait entuber, ton Antoine ! Dommage, tu serais plein de belins, maintenant…
    – Et je travaillerais pas à l’usine ! Mais ça ne va pas m’empêcher de t’inviter aujourd’hui. Tarte aux quetsches ?
    – Grand seigneur !

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  • Clichés marseillais #52

    Cours Julien - Bouquinistes

    Clichés marseillais #52Roger n’a pas très envie de se retrouver seul après l’enterrement de Victor.
    – Tu dois voir Stella ?
    Non, Gigi ne doit pas voir Stella, Stella travaille au salon et le samedi c’est la grosse journée. Les vieilles dames de Menpenti défilent, ça tchatche, ça échange les derniers potins, ça raconte des horreurs, aussi ! Les femmes de gendarmes de la caserne Beauvau, de l’autre côté de l’avenue de Toulon, trouvent que Les vieilles, elles pourraient pas venir en semaine ? Elles n’ont que ça à faire ! Mais non, pourquoi est-ce qu’elles viendraient en semaine alors que c’est tellement plus animé le samedi ? Stella, ça la fait rire et de toute façon elle n’aime pas les femmes de gendarmes… Attends, là, on s’éloigne un peu du sujet, donc, on va manger un morceau en ville ? Et je vais te présenter quelqu’un ! OK, c’est parti, les voilà dans le 68.
    – Terminus, combien de tickets ?
    – Trois, répond le receveur.
    Depuis que les anciennes rames ont été remplacées, l’année précédente, ça bringuebale moins, mais Gigi aimait bien les voitures en bois. Enfin, il faut vivre avec son temps…
    Gare de l’Est, sortie sur le marché des Capucins, Roger entraîne son pote vers le cours Julien. Le long du lycée Thiers, les bouquinistes alignent leurs stands bleus. Ils montent jusqu’à la hauteur de la porte des classes prépas. Roger s’arrête devant un stand derrière lequel trône un  type, la cinquantaine, cheveux blonds hirsutes, yeux bleu clair.
    – Gigi, je te présente No, mon oncle. Lui c’est Gigi, il travaille avec moi.
    – Bonjour Monsieur.
    – Tu viens ici pour m’insulter, toi, avec ton Monsieur ? Tu l’as pas entendu, ton collègue ? No, je m’appelle, pas Monsieur ! Pébron !
    Le gars a l’air vraiment énervé, Gigi ne sait plus où se mettre.
    – C’est bon, il rigole ! corrige Roger.
    Il échange quelques nouvelles avec son oncle. Il expliquera plus tard à Gigi que No est le mari de sa tante, la soeur de son père. Après avoir épuisé trente patrons en vingt ans et ne sentant pas d’en supporter un de plus, il s’est pris ce stand. Travailler à l’extérieur, ne rendre de compte à personne, voir du monde à qui sortir des conneries à longueur de journée, ça lui convient à la perfection.
    – Alors c’est toi qui casses du flic ? demande No à Gigi.
    – C’est-à-dire que…
    – Tu peux lui dire, que tu es une brute sanguinaire, je lui ai déjà raconté !
    – D’ailleurs, l’interrompt No, regarde derrière toi, j’ai fait la revue de presse.
    Sur les murs du lycée, à côté de la porte, des coupures de presse sont collées. Gigi reconnaît pour l’essentiel des articles du Canard enchaîné. Les autres rapportent quelques ragots de la politique locale. Et puis il y a l’article de Rouge sur la répression de leur manif du 5 novembre.
    – C’est pas grand-chose, mais les jeunes, en attendant l’ouverture des portes, ça leur arrive de regarder. Et puis j’ai des clients qui connaissent et qui lisent. Tiens, j’en ai un qui est passé tout à l’heure, un minot haut comme deux pommes. Il vient tous les samedis échanger des San Antonio. Eh bè chaque fois, il regarde les articles et on discute. Enfin, c’est surtout lui qui discute parce que quand il démarre tu peux plus en placer une.
    Gigi écoute tout en examinant le stand : polars, livres de poche, histoire, illustrés, BD, disques. Sous le toit est suspendu un foutoir pas possible : poupées, écussons, pipes, porte-clés, cartes postales…
    – Vous vendez un peu de tout, je vois, demande Gigi.
    – Sauf le cul et les fachos ! Le cul, c’est ce qui rapporte le plus, surtout les interdits, les illustrés danois, trucs pourris avec des gamins, des animaux. Il y a des gens ici qui en ont sous les rayons, mais moi je veux pas. Ni les bouquins de militaires style les paras, la Légion étrangère ou la division Charlemagne.
    – On reviendra, tu expliqueras à Gigi, mais là on va y aller, qu’on n’a pas encore mangé, tente Roger.
    – Et moi, tu crois que j’ai mangé ? On va boire le pastis, d’abord.
    Il plonge derrière les livres, sort une bouteille et la tape contre un montant en regardant vers le bas. Dix secondes plus tard, un couple un peu plus âgé arrive en provenance d’un autre stand.
    – Oh Roger, qué fan ?
    – On passe. Je suis avec un collègue. Gigi, voilà Antoine et Mimi. Encore deux piliers de la bouquinisterie ! Regarde Mimi : à force de ramasser des sous, elle a les doigts tout usés !
    – Qu’il est couillon, ce minot !
    Mimi montre sa main droite dont les doigts sont coupés à la première phalange. Elle explique l’accident de voiture en Espagne, la main passée par la fenêtre et posée sur le toit, les tonneaux et les phalanges restées là-bas.
    – Remarque, dit No, que tu aurais mieux fait de liquider leur phalange à eux, aux franquistes !
    – Tu te lasses jamais, hein ? Tu la feras à chaque fois, la blague ?
    – Tant que Franco sera pas mort !
    No a sorti les verres et servi le pastis, sans eau pour lui.
    – Allez, on trinque à la mort de Franco !

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  • Clichés marseillais #51

    Victor, 50 ans de luttes

    Clichés marseillais #51Gigi décide de rejoindre à pied le cimetière Saint-Pierre. Les trottoirs du boulevard Baille sont déserts, comme d’habitude. Chaque fois qu’il vient ici et qu’il voit passer un bus 54, il sourit en pensant à l’expression des vieux Marseillais « Tu es bon pour le 54 ! » Autrement dit, le bus qui allait jusqu’à l’asile de fous… Il y a souvent des moments où il fait rire. Quand Claudine lui demande pourquoi il rit tout seul, il lui répond qu’il vient de se raconter une blague qu’il ne connaissait pas… Et parfois c’est vrai !
    Une petite foule patiente sur le parking devant l’entrée principale du cimetière, à côté des fleuristes. Gigi reconnaît certains camarades – ça y est, il a pris l’habitude – qui étaient dans le car de Bruxelles. Certains viennent le saluer. Il aperçoit un groupe en grande discussion, et Roger qui lui fait signe d’approcher. Il se sent moins seul mais comprend vite qu’il y a engambi. Roger lui explique à voix basse que les vieux militants avec qui il est n’ont pas apprécié certains soi-disant hommages envoyés par quelques anciens.
    – En cinquante ans de militantisme, Victor a connu beaucoup de monde. Depuis trois jours, il est arrivé un moulon de témoignages de sympathie. Surtout des gens qui l’ont connu en 1936 et après, quand il est arrivé à Marseille, mais pas seulement. Et tu imagines bien que parmi tous ces gens qu’il a côtoyés, tous n’ont pas suivi le même chemin, et c’est bien normal. Mais ce qui me fout les boules, c’est que parmi eux, il y en a qui se sentent obligés de signaler qu’ils reconnaissent le militant et l’ami « malgré les divergences, ou les désaccords ou les chemins différents… Putain, mais qu’est-ce qu’on s’en fout ! Pourquoi ils se sentent obligés de dire ça ? Tu peux me dire ? Moi, j’ai l’impression qu’il y en a qui se sentent le cul merdeux, je le sens d'ici…
    – C’est vrai que c’est un peu bizarre…
    – Bizarre, tu dis ! C’est lamentable, oui ! Regarde, un copain m’a recopié quelques phrases dans le style : « Je n’ai rien renié de ce que nous avons vécu ces années-là, même si le monde a changé. » Je traduis : j’ai changé, mais c’est la faute au monde qui a changé. Je n’ai plus rien à voir avec celui que j’étais mais je ne renie rien ! »
    – Déjà, on s’en fout un peu, non ?
    – Attends, un autre : « Par la suite, nous avons pu avoir des visions différentes de la lutte politique… » Traduction…
    – Non, celui-là je te le traduis moi : « J’ai changé de bord et je n’avais plus rien à voir avec lui. »
    – Exact. Un dernier parce que je vois que ça commence à rentrer : « Je suis fatigué de cette vie politique dont je ne supporte plus les redites. » Et là, on nous dit « Ça me gonflait donc j’ai tout lâché, et les gens comme Victor ne font que rabâcher les mêmes choses. »
    – Dur !
    – Viens, on avance.
    Ils prennent l’Allée principale, bordée de magnolias et de monuments qui suintent l’argent. Gigi sent bien que les familles les ont voulus impressionnants. Des noms connus : Clot-Bey, Pastré. Il connaît bien l’endroit, il s’y attarde avec Luigi quand ils viennent sur la tombe de la grand-mère. Il sait que juste derrière, on trouve les chapelles des familles Sakakini, Cantini… Même dans la mort, la bourgeoisie marseillaise occupe les meilleures places.
    Roger poursuit son raisonnement :
    – Être fidèle, qu’est-ce que c’est ? C’est d'abord l'être à soi, ne pas essayer de se tromper soi-même. On n'est pas obligé de rester fidèle à ce qu'on a été à un moment donné. Non, on a le droit d'évoluer. Mais pourquoi s’en cacher ?
    – De quoi tu parles ? De qui ?
    – Il y en a, de la génération de Victor, qui pensent être restés « fidèles » – à qui, à quoi ? – en allant au PS alors que Guy Mollet envoyait la troupe en Algérie, d’autres en restant au PC même après le pacte germano-soviétique, l’assassinat de Trotsky, Budapest en 56 et Prague en 68. D’autres encore ont fait carrière dans le syndicalisme en avalant de temps en temps quelques couleuvres. Ou alors ils ont fait carrière tout cours, de beaux parcours professionnels, une petite célébrité. Pourquoi pas ? C’est leur vie. Mais pourquoi une partie s'acharne-t-elle à expliquer qu’ils n’ont pas changé ? Ben si, t'as changé et alors ? On peut rester copains, ou pas, des fois non, faut pas déconner... Mais c'est ton foutu droit ! N'essaie pas de te leurrer ! Ne nous prends pas pour des cons !
    – Ils ne sont pas obligés de faire ça, à quoi ça rime ?
    – Tu sais quoi, Gigi ? Beaucoup pleurent sincèrement Victor, mais en même temps ils pleurent leur jeunesse. Et tout le monde ne regarde pas en arrière avec la même sérénité !

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  • Clichés marseillais #50

    Victor, 50 ans de luttes

    Clichés marseillais #50Les semaines paraissent durer un mois. Décembre se traîne et tellement de nouveautés, de bouleversements dans la vie du Gigi ! Dans ses nuits en miettes, il se repasse en boucle le film des dernières semaines. Est-il encore le même que celui qui il y a un mois allait faire sa journée à l’usine, rentrait chez sa sœur, passait une soirée tranquille, dormait paisiblement, jardinait le week-end avec son père ? Celui qui ne connaissait pas les manifestations, les cellules de garde à vue, la politique ? Et celui qui n’était pas encore amoureux de Stella ? Les évènements se bousculent au long de jours qui se traînent comme s’ils craignaient d’arriver à Noël, mais Gigi sait bien qu’il projette sa propre aversion mélancolique de la période des fêtes. Les jours raccourcis à l’extrême, les heures pluvieuses, les sourires de fonction des foules avides d’achats lui donnent le cafard.

    Lors de la réunion de cellule suivante, Robert annonce la mort d’un vieux camarade. Les obsèques ont lieu samedi au cimetière Saint-Pierre. L’ordre du jour est aussi bouleversé que les copains qui l’ont tous connu, à l’exception de Gigi. Robert retrace le parcours de Victor et Gigi découvre la réalité d’un engagement de cinquante ans et ce que ça peut représenter pour les plus jeunes.

    Victor était du siècle, comme on disait à l’époque, il était né en 1900. Difficile à imaginer pour Gigi, il lui semble qu’on parle de la préhistoire ! La guerre l’a épargné en raison de son âge, mais elle l’a transformé. Son père, son oncle, des cousins, des voisins y ont laissé leur peau Il est révolté par cette boucherie. Il a lu les articles de Jaurès dans des journaux et des brochures que son père conservait à la cave. Élève ajusteur à l’École nationale professionnelle de Voiron, il suit l’actualité et se prend de passion pour la Révolution en Russie ; ses héros se nomment Lénine et Trotsky.

    À dix-huit ans, il devient adulte et chef de famille dans son village ardéchois. Il s’engage dans la Marine pour trois ans. En 1919, son bateau arrive en Mer noire pour participer à l’offensive française contre la Révolution russe. Les troupes se mutinent, refusent d’intervenir. Victor en est.

    Autour de la table, Gigi et ses camarades voient se dresser sous leurs yeux les tableaux vivants de l’Histoire avec un grand H. Et l’exposé de Robert, le professeur, ne ressemble en rien à tout ce qu’ils ont pu entendre à l’école ou au lycée. Ils marchent dans les pas de Victor, ils sentent la limaille de fer de l’atelier, elle a l’odeur du sang des parents restés dans la boue des tranchées. Ils ravalent les larmes des survivants, elles ont le goût salé de la Mer noire. Ils touchent les vieux journaux humides, c’est la couche soyeuse de moisissure des cabines du cuirassé Justice qu’ils effleurent des doigts.

    À son retour fin 1921, Victor entre aux Chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (PLM). Il découvre le syndicalisme et la politique à une époque où la marmite de l’Histoire bout à gros bouillons. Sa formation et son expérience dans la Marine lui valent un poste de Surveillant du Service électrique, un grade d’agent de maîtrise, espèce encore rare au syndicat. On lui confie des responsabilités à la CGT, il entre au tout nouveau Parti communiste formé après le congrès de Tours de décembre 1920. Il considère que les socialistes ont trahi en soutenant la guerre qu’ils qualifient de guerre impérialiste.
    Victor se marie avec Marthe en 1923, une petite fille six mois plus tard. Un rapide, Victor, pense Gigi ! En 1926, il est élu délégué du personnel. Il est délégué le 16 décembre 1934 au Congrès de fusion des cheminots du réseau PLM qui préfigure l’unification générale de tous les syndicats de cheminots l’année suivante.
    En parallèle de son activité syndicale, Victor suit les débats au sein du Parti communiste.  En 1936, après sa mutation à Marseille, il rejoint les trotskystes, exclus du PC et de la SFIO, qui viennent de créer le Parti ouvrier internationaliste. Et la guerre arrive, la Résistance sur laquelle il se montrera toujours discret mais qui lui vaut son arrestation par la Gestapo en novembre 1943. Il passera six mois aux Baumettes. L’après-guerre l’enthousiasme moins, mais Victor participe aux luttes anticoloniales, en soutien aux Indochinois puis aux Algériens. Retraité, il va travailler presque une année dans une usine d’armement montée à Kenitra par la IVe Internationale au profit du FLN. Les années 60 seront plus fastes pour Victor et ses camarades, rejoints dès avant 68 par des vagues de militants exclus du PC à cause, entre autres motifs, de leur soutien trop radical aux Algériens et aux Vietnamiens. Alors que le PC manifeste pour la paix en Algérie et au Vietnam, ces militants se battent pour la victoire du FLN et du FNL.
    C’est à cette époque que Nicole et Robert font la connaissance de Victor qui sera, avec Vlad et Youri, une icône pour les trotskystes marseillais. Et Robert précise bien qu’il ne faudrait surtout pas leur dire ça en face ! Il y a deux jours, Victor est mort, victime d’une crise cardiaque alors qu’il travaillait à la rédaction de ses souvenirs.
    Rendez-vous est pris pour le samedi.

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    Illustration © Institut d'histoire sociale CGT cheminots, 4 C 1/3, / archives.cheminotcgt.fr


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  • Clichés marseillais #49

    C’est ma première cellule-partie !

    Clichés marseillais #49– Et ton pseudonyme, qu’est-ce que c’est ?
    Stella écoute le récit que Gigi lui fait de la première réunion de cellule à laquelle il vient de participer. Mi-surprise, mi-amusée, mi-effrayée. Mais bougre d’imbécile, ça dépend de la grandeur des moitiés…
    – J’ai pas le droit de te le dire…
    On ajoute un bon tiers d’incrédulité.
    – Moins tu en sais, moins tu pourras en dire sous la torture !
    – …
    – Non, je déconne, là… Le truc, c’est que dans tout ce qui est écrit, on ne met jamais le vrai nom, mais le pseudo. Ça fait que si des fois ça tombe entre des mains malintentionnées, personne ne pourra savoir qui c’est. Pour les numéros de téléphone, chacun a son code, sa façon de les noter. Mais ça je ne peux même pas t’expliquer le principe, qu’y a quelqu’un en train d’écrire tout ce que je te dis…
    – Tu es sûr que tu n’es pas tombé dans une secte ?
    – Roger et Pierre, que tu as vus à Aix, ils semblent une secte ?
    – Pas vraiment, non…
    – Je te raconte ça parce que c’est un peu le folklore, c’est pas le plus important. Il paraît que dans une autre organisation un peu dans le même genre, au début de chaque réunion le responsable lit un petit papier avec le nombre de journaux vendus la semaine précédente dans toute la France, le nombre de personnes nouvelles avec qui ils ont discuté. À la fin, il brûle le papier dans un cendrier devant tout le monde.
    – Oh fatche ! J’aimerais le voir, ça… Mais vous, comment ça se passe ?
    – Déjà j’ai eu l’air un peu couillon quand j’ai vu les copains sortir les cahiers ou les carnets et se mettre à prendre des notes. J’avais rien prévu, moi, Roger m’a passé une feuille et un stylo, j’ai fait semblant de noter en même temps que les autres, en faisant exprès de mal écrire pour que personne ne puisse lire et s’apercevoir que je marquais que des conneries.
    – Fais voir !
    Sur la feuille quadrillée, Stella regarde les gribouillis informes. Gigi doit traduire.
    – Une camarade a fait un exposé sur une brochure qui vient de sortir, « URSS et pays de l’Est : socialisme ou capitalisme ? »
    – Ouille !
    – Non, super bien fait, clair, j’ai presque tout compris, t’as qu’à voir ! En plus ça m’intéresse, elle a parlé de la Tchécoslovaquie et de plein de trucs. Dans la discussion, j’ai noté ce qui m’a fait rire mais j’ai rien dit : j’ai bien vu que ça n’amusait personne. Par exemple : « Le chômage, il existe en URSS ; mais il est masqué parce qu’on oblige les gens à travailler ! »
    – Ah, excellent ! Donc, tout le monde travaille mais il y a du chômage ?
    – Voilà. Le copain a dû mal s’exprimer, mais c’était drôle. Et le même, après il sort « Ça fait longtemps que j’ai cessé d’y croire, mais maintenant je n’y crois plus du tout. »
    – Au moins c’est clair !
    – Et à la fin de son intervention – c’est comme ça que ça s’appelle, quand quelqu’un parle – il a dit « Bon, maintenant j’arrête parce que j’ai fini. »
    – Ah oui, c’est une bonne raison ! En fait, vous vous ennuyez pas dans vos réunions !
    – C’est déjà ça ! Bon, je me moque un peu, mais j’ai quand même appris des trucs et puis on a parlé de ce qui se passe à l’usine. Les copains que je ne connaissais pas ont dit que ça remue pas mal dans le syndicat. La majorité veut me soutenir, c’est les gars de l’Union départementale qui freinent. On a discuté pour voir comment on pouvait faire bouger les choses. On va faire un tract que des gens de l’extérieur viendront distribuer. Et là, trop bonnard ! On parlait de la distribution à la porte et toujours le même copain qui nous sort « Le matin tôt, c’est tôt ; et le soir, il fait noir. » Avec Roger, on s’est estrassés de rire ! Je sens que je vais prendre plein de notes et écrire un bêtisier… Dans cinquante ans, ça vaudra de l’or… ou pas !

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  • Clichés marseillais #48

    Saint-Marcel - Traverse de Nazareth

    Clichés marseillais #48Roger a prévenu Gigi quelques jours à l’avance :
    – Mercredi, on a une réunion de cellule. Ça se passera chez moi.
    Et aujourd’hui, nous y voilà. Ils vont boire un demi en face de l’usine pour attendre les autres camarades. Ceux-là ne sont pas connus des responsables syndicaux.

    Pour Roger, les choses s’étaient passées différemment : il travaillait déjà ici avant 68, militant au syndicat et au parti. Puis, comme d’autres, l’écoeurement devant la grève générale abandonnée, les reprises usine par usine en échange d’un accord qui ne correspondait pas au rapport de forces. Le Coup de Prague par là-dessus pendant le congé d’été et c’est la bascule, il commence à ouvrir sa gueule, il discute, il n’est pas forcément d’accord sur tout et tout de suite et là il voit les sourcils se froncer, les échanges à voix basse dans son dos, les informations ne circulent plus, on oublie de le convoquer aux réunions.
    Il se demande ce qui se passe, il comprend assez vite, il se sent comme un pestiféré. Alors il cherche, il lit, rencontre des gens, il apprend. Dans sa tête, il y a comme de minuscules pousses vertes pointant au-dessous de la taille franche d’une branche, se développant insensiblement sans qu’on y prenne garde jusqu’au jour où l’on y regarde de plus près, jusqu’à se dire Tiens, elle n’était pas là avant, celle-là ! Alors on l’observe, on l’encourage, on la regarde grandir et il y en a d’autres qui ont pointé et qui grandissent.
    À la porte de l’usine, des étudiants distribuent de temps en temps des tracts dans lesquels Roger retrouve beaucoup des idées qui ont germé dans sa tête. En fait, personne ne sait s’ils sont étudiants mais les responsables du syndicat entretiennent cette idée des zéléments zextérieurs qui viennent semer leurs mensonges dans les têtes des travailleurs qui regardent l’avenir radieux le menton haut, le regard aussi clair que les idées.
    Ça, c’est pour Roger.

    Les autres, ils sont là pour ça. Roger lui explique aussi, après lui avoir raconté son parcours. Les autres étaient étudiants mais après 68 ils ont voulu aller là où, selon eux, les choses se passaient et là où ils pourraient avoir un rôle à jouer, un grain de sel à ajouter dans le grand tourbillon de l’histoire qui avait commencé à tourner. Entrés à l’usine fin 68, début 69, ils avaient fait leur trou en faisant oublier leurs années d’études. Comme ils étaient intelligents, qu’ils savaient ce qu’ils voulaient et qu’ils se montraient efficaces dans l’action syndicale, on leur avait rapidement confié des responsabilités. Ils avançaient prudemment, sachant que se mettre à découvert les exposerait à une descente en flammes de la part de l’appareil syndical. On ne jugerait pas alors leurs convictions, leur dévouement pour la défense des salariés, mais leur soumission à la ligne. Et là ils savaient qu’ils perdraient. Ils tâchaient donc pour l’heure de relayer du mieux qu’ils le pouvaient les demandes des ouvriers, d’analyser la situation en cherchant de tout les racines. C’était là l’origine de leur qualification de « radicaux », ils ne restaient pas à la surface des choses. Ne pas croire sur parole, douter, critiquer, discuter, se remettre en question. On aurait pu dire qu’ils avançaient masqués. À quoi ils auraient répondu qu’ils devaient faire face à des gens qui masquaient, quoiqu’inconsciemment pour certains, leur incapacité à remettre véritablement en question un système qu’ils condamnaient en paroles.
    Ces camarades-là avaient encore l’oreille de ceux qu’ils qualifiaient entre eux de bureaucrates syndicaux. Ils devaient donc se montrer discrets. Gigi et Roger voient arriver trois ouvriers de l’usine que Gigi ne connaissait qu’en tant que tels. Ceux-là longent le bar sans un regard vers l’intérieur. Gigi n’a rien remarqué de spécial. Quelques minutes après, Roger se lève et les voilà qui s’en vont, ils marchent sur le trottoir de la nationale jusqu’à prendre par des rues qui montent vers la colline, jusqu’à une étroite ruelle, la traverse de Nazareth. Un portail ouvert, une maison modeste entourée d’un jardin, une porte en rez-de-chaussée que pousse Roger, Voilà, c’est chez moi, mes parents habitent au-dessus. À l’intérieur, un salon, une table, des chaises sur lesquelles sont installés une jeune femme et les trois camarades qui sont passés devant le bar voici quelques minutes. Derrière eux, une voiture pénètre dans le jardin, Gigi  se retourne et reconnaît Nicole et Robert qui les avaient raccompagnés à l’usine au retour de Bruxelles.

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  • Clichés marseillais #47

    Marseille by night

    Clichés marseillais #47Fin novembre, Marseille connaît un de ces épisodes climatiques qui jalonnent son histoire et surtout la mémoire des Marseillais. Les anciens racontent qu’en février 1956, la fontaine du Palais Longchamp était changée en cascade de glace et que les oliviers avaient gelé dans toute la région.
    Cette année c’est la pluie qui s’abat un après-midi et submerge tout. Durant une douzaine d’heures, des ruisseaux dévalent les rues du centre-ville, convergent vers la Canebière devenue fleuve allant se jeter dans le Vieux-Port qui se confond bientôt avec le quai des Belges. Gigi a le temps de rentrer à Menpenti avant que les rues soient totalement inondées, l’eau atteignant par endroits un mètre de hauteur. Il descend du bus devant le salon de coiffure et s’y engouffre. Les clientes s’émeuvent à la vue de ce beau jeune homme que la traversée de l’avenue a transformé en estrasse dégoulinante.
    Stella abandonne la couleur de Madame Truchi, enfouit Gigi sous des serviettes avant de l’installer sous un casque. Madame Colombani, la mère de la buraliste, trouve un nouveau filon pour ses éternelles rouscailleries.
    – C’est leurs bombes atomiques qui dérèglent tout. C’est pas normal toute cette pluie. Remarque bien que du coup ça nettoiera la bordille que les poubelleurs laissent derrière eux. Ceux-là, ils disent qu’ils font le « fini-parti ». Moi je les vois, au bar, que c’est pendant leurs heures de travail, ils enquillent les jaunes et à dix heures c’est « Je suis fini, je suis parti ! » Gigi demande à Stella de monter le sèche-cheveux pour ne plus entendre.

    Le sommeil a commencé à fuir Gigi peu de temps après la manifestation interdite qui s’était soldée par son arrestation. Il fait des cauchemars, de réveille avec des palpitations, ne peut plus se rendormir et arrive à l’usine complètement escagassé.
    Cette nuit, il est rue des Pistoles, numéro 17, dans le vieux quartier. Tellement étroite… Il accélère le pas dans les courants d’air d’un mistral qui souffle en rafales, il revient sur lui-même, sent une main qui se pose sur sa poitrine, le stoppe net puis peu à peu relâche la pression, lui laisse l’illusion d’une liberté de mouvement retrouvée, alors il fait un pas puis deux et la main est encore là pour le ralentir, ou bien est-ce un corps tout entier qui se colle au sien, entre les jambes duquel il glisse les siennes, pour une danse, un combat ou une union charnelle avec la mort froide qui le pénètre jusqu’à la moelle, se répand dans chacune de ses cellules, liqueur glaciale qui l’enivre, s’empare de lui, alors il fait demi-tour et le souffle de mort l’appelle, sirène mugissante, rafale qui l’aspire et cette fois c’est lui qui la pénètre de toute la tension de son corps qu’il renonce à tenir, abandonné à sa pulsation, plus indomptable qu’un étalon jamais monté, dont les longs muscles noirs frémissent sous la peau fine et douce, qu’un souffle entoure de sa tendre étreinte à laquelle il cède, esclave consentant…
    Gigi est seul, entortillé dans les draps trempés de sueur. Trop tard pour se rendormir. Il s’habille en vitesse et sort. La porte qui claque derrière lui le fait sursauter, comme si le bruit venait d’ailleurs. Couloir, escalier, couloir, porte, trottoir. Rue noire, ordures débordant de conteneurs cabossés. Gigi marche sans véritable but, bientôt aspiré par la pente en direction du port qui concentre chaque nuit la misère, la violence et les âmes perdues.
    Au détour d’une rue, il entend devant lui le claquement de talons rapides. Une ombre émerge de la nuit par intermittence, à chaque passage dans le halo de lumière des réverbères. Dans les quelques secondes de cette illumination, il devine une femme, silhouette noire aussitôt absorbée par l’obscurité. Les détails apparaissent peu à peu, comme les instruments qui entrent un par un dans la musique. Corps longiligne, robe longue, chevelure flottante. Victor se rapproche, suit cette ombre dans ses tours et détours incohérents qui forment comme une spirale dont le centre pourrait être les bars de nuit les plus mal famés du quartier de l’Opéra. C’est bien dans un de ces lieux que la femme s’engouffre sans hésiter, suivie quelques secondes plus tard par Gigi. L’endroit, tout en longueur, est baigné d’une lumière bleue qui accentue le teint blafard des rares clients alignés devant le comptoir. En entrant, il a juste le temps de voir la femme disparaître par un escalier conduisant au sous-sol dont parvient un air de jazz. Gigi descend à sa suite. Une cave voûtée en pierre, quelques banquettes recouvertes de peluche bleue râpée, des ombres avachies autour de quelques tables basses chargées de verres, de bouteilles, de cendriers débordants. La femme est assise sur un tabouret haut devant le petit comptoir. Elle tourne le dos à l’escalier dont Gigi descend les dernières marches. Il se juche sur le tabouret voisin de celui de la femme et cherche son regard dans le miroir qui leur fait face. Victor se retient à la barre courant le long du comptoir. Le visage de la femme n’est qu’une cicatrice, boursoufflements entre des plaques lisses et livides. Un œil est totalement fermé par une paupière creuse. Un trou à la place du nez.
    C’est dans un cri que se réveille à nouveau Gigi.

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  • Clichés marseillais #46

    Noël marseillais

    Les jours passent, novembre s’achève dans la grisaille du ciel et des esprits. Gigi attend son procès qui aura lieu en janvier. Roger s’occupe de sa défense, trouve des témoins de moralité. Le nom fait beaucoup rire Stella.
    – Si je leur raconte ce qu’on fait ensemble, ta moralité elle va tomber en chute libre !
    À Saint-Marcel, on a vite fait de trouver des candidats. Une ancienne institutrice de Gigi s’est présentée spontanément chez les parents.
    – Mais comment vous êtes au courant Madame Boyer ? a demandé Madame Baldini.
    – C’est pas bien dur, vous savez ! D’abord, la moitié des gamins du quartier sont passés dans ma classe. Après, toutes les bazarettes s’en donnent à cœur joie sur le marché. En tout cas, vous pouvez compter sur moi !
    Le contremaître de Gigi lui a dit qu’il voulait témoigner.
    – Ça va pas vous faire tort, Monsieur Puissant ?
    – Je m’en cague ! L’année prochaine, je pars à la retraite, je n’ai rien à perdre. Ils me feront pas un deuxième trou du cul ! Je veux faire un truc bien pour toi.
    – Alors merci, merci beaucoup !
    La mère de Stella s’y est collée ; elle a convaincu un cousin curé qui a rencontré Gigi une fois au salon. Enfin, disons ancien curé, parce que lui il s’est défroqué pour marier une fille qu’il avait engrossée, comme disait Madame Bazzali.
    L’avocat était content et se marrait :
    « Une institutrice, un contremaître et un curé : l’école, le travail et l’église, que rêver de mieux ? »

    Noël approche, les jours continuent de raccourcir. Pour Gigi, c’est la pire période de l’année. Passé le 21 ou 22 décembre, même si c’est l’hiver, les jours commencent à rallonger et il se dit qu’on va vers l’été. Après, c’est l’été jusqu’au 21 septembre, c’est bon. Mais l’automne… Et Noël, les préparatifs, les achats, la famille… Ça le déprime. Quand il descend à la Bourse après le travail, il évite les rues de Rome et Saint-Ferréol bourrées de gens encombrés de paquets.
    Le meilleur souvenir que Gigi garde de Noël, c’est quand son père les emmenait en ville, sa sœur et lui, quand ils étaient minots, faire les dernières courses. Pour l’occasion, ils prenaient le train jusqu’à Saint-Charles. Il suffisait ensuite de descendre le grand escalier, d’entendre à chaque fois le père raconter qu’une voiture les avait un jour empruntés, de se laisser tirer le portrait par un photographe de rue et ils avaient la Canebière à portée de vue. Ils approchaient du saint des saints, car pour les Marseillais, la ville se réduit à un quadrilatère délimité par la Canebière, la rue Paradis, la Préfecture et le cours Lieutaud. Au-delà, on passe dans les contrées limitrophes dénommées « les quartiers ».
    Ils étaient donc « en ville », là où dans un rayon d’une centaine de mètres, les Marseillais trouvent tout ce qu’il faut pour un bon Réveillon : Toinou, Dromel et Michel. Toinou pour les huîtres et les moules, Dromel pour les fondants, chocolats, pâtes de fruits et marrons glacés, Michel pour la pompe. Bien sûr, il fallait s’y rendre au dernier moment, c’est-à-dire le matin du 24 décembre, pour que tout soit le plus frais possible. Et bien sûr, il y avait la queue partout. Et c’était ça le mieux ! Faire la queue dans les odeurs d’iode, de sucreries et de fleur d’oranger ! Pas de vrai Noël sans queue !
    Aujourd’hui, Gigi se demande si un jour lui aussi emmènera ses enfants faire les courses de Noël en ville.

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  • Clichés marseillais #45

    Une soirée à Aix

    Le samedi suivant, Gigi et Stella montent à Aix avec Roger.
    – Les copains étudiants font une fête, ça va être super ! leur a-t-il dit.
    Ils s’esquichent dans l’Ami 6 bleue de la mère de Stella, avec deux copines de Roger et en route pour le Grand Nord !
    Pour Gigi et Stella, Aix est la ville bourgeoise, l’ennemie historique de Marseille la populaire. Ils n’y mettent jamais les pieds. Il a fallu toute la force de persuasion de Roger pour les décider. Faut dire que ce n’est pas ce dont il manque le plus !
    La fête se passe dans une petite maison derrière la Faculté des Lettres. Les locataires ne sont plus étudiants depuis un moment, mais ils sont toujours prêts à héberger les soirées des camarades plus jeunes. Gigi et Stella découvrent une nouvelle forme d’amitié. Je ne te connais pas, mais tu es un camarade ? Alors tu peux me demander ce que tu veux et si je peux je te le donne ou je le fais pour toi. Les gens sont assis par terre, la musique est forte, ça boit, ça fume, ça discute, c’est un peu étourdissant pour les deux Marseillais. Gigi est content d’avoir apporté une bouteille de Janot, c’est la seule sur le buffet ! Stella ouvre de grands yeux, elle regarde passer de main en main une drôle de cigarette dont elle se doute qu’elle ne contient pas que du tabac. Elle tire une bouffée et la passe à Roger.
    – Non, merci ! et il la passe à la suite.
    – Tu n’aimes pas, demande Stella ?
    – Je ne me pose pas la question. En fait, dans l’organisation, on n’a pas le droit de fumer ça, dit Roger.
    – Ah bon ? Mais pourquoi ? demande Stella.
    – C’est illégal. On n’a pas envie d’avoir des ennuis avec la police pour ça. C’est déjà arrivé qu’ils fassent chanter des militants : Soit tu nous refiles quelques tuyaux sur vos activités, soit on te fait plonger un max ! Alors on évite.
    Gigi a écouté la conversation et hésite. Est-ce qu’ils sont coincés ou rigoureux ? Pour l’instant, il se dit que c’est peut-être une preuve de sérieux.
    Roger a rapidement fait signe à un camarade et le fait asseoir près d’eux.
    – Pierre, tu as vu Gigi à Bruxelles, et voilà Stella, sa copine.
    – Je me souviens. Tu as fait plaisir à Vlad en écoutant ses histoires. On les connaît tellement qu’il est tout content de trouver un nouveau public. Et toi, raconte, qu’est-ce que tu fais de beau à Marseille ? demande-t-il en relevant la mèche brune qui lui tombe sur les yeux.
    Stella raconte le salon, le quartier, Gigi raconte l’usine. Pierre écoute puis se lève pour se joindre à un autre groupe, Roger raconte à son tour comment Pierre s’est engagé dans la politique.
    – À ma connaissance, c’est celui qui a adhéré le plus jeune. Je crois qu’il avait douze ou treize ans quand il a adhéré aux JC puis très vite à la JCR. C’était à Nice, plusieurs années avant 68, ils n’étaient pas nombreux. C’est la solidarité avec le Vietnam qui l’a fait bouger. Ce type a tout pour lui : il connaît une masse de choses, il réfléchit à mille à l’heure, il écoute les autres, c’est un bon organisateur et un super orateur. En plus, ce qui ne gâche rien, il est hyper sympa, partant pour toutes les déconnades, et il a une belle gueule. Stella approuve.
    Au bout d’un moment, Gigi et Stella commencent à trouver le temps long, d’autant que l’atmosphère est de plus en plus enfumée et les bouteilles de plus en plus vides. La semaine de travail se fait sentir. C’est au moment où ils décident Roger à partir que Pierre surfit pour leur dire que non, pas question de rentrer, vous venez avec nous, on va voir des copines à la Cité U. Ils auront une première leçon de sa force de conviction : impossible de dire non à Pierre ! Roger laisse les deux copines montées de Marseille avec eux, elles ont fait affaire et passeront la nuit à Aix. Et les voilà repartis dans l’Ami 6, derrière une 4L qui emporte le reste du groupe. Pierre remue dans tous les sens comme s’il voulait faire basculer la voiture et crie dans le dos de Stella :
    – Vas-y, accélère, on va les doubler !
    À la Cité universitaire, ils réveillent les copines qui résident là. Il y a Henriette, Annie, tout le monde s’entasse dans une chambre puis dans l’autre, ça court dans les couloirs, ça crie. Quelqu’un met un disque. Stella et Gigi se marrent :
    – « Comme à la radio », c’est notre chanson fétiche !
    – C’est dingue ! hurle Pierre. Ils me plaisent, tiens, ces deux-là.

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  • Clichés marseillais #44

    Dugommier - Louise Michel

    Clichés marseillais #44– Alors ça y est, ils t’ont mis le grappin dessus ? Ils n’ont pas traîné, dis donc !
    Ber tapote en rythme son stylo contre le bureau, Gigi comprend qu’il apprécie moyennement son intégration à l’organisation. Il se doute que son ami est déçu, il ne sait pas trop comment lui expliquer le truc. Ils se regardent un moment en silence, ça pourrait basculer d’un côté ou de l’autre. Et puis, à mieux y regarder, Gigi comprend que Ber n’est pas vraiment fâché. Il y a une espèce d’ombre de sourire sur sa tronche d’ours mal léché, que le soleil ne parvient pas à franchement dessiner, sans que les nuages ne l’avalent.
    – Sur l’usine, c’est eux qui se bougent, tu sais bien… On ne peut pas tout miser sur les discussions avec les patrons ou la Préfecture. Tout le monde nous balade, dans cette affaire. Et on sait comment ça finira, ils vireront des centaines de gars ! Les autres n’ont fait que me menacer après la manif et mon inculpation, et ça m’a bien filé les boules. Je ne peux pas leur faire confiance.
    – Si je peux comprendre ça, tu peux comprendre aussi qu’on n’adhère pas à une organisation comme celle-là juste parce que ses militants te défendent mieux au boulot ! C’est pas que du syndicalisme, là, c’est de la politique !
    – Justement, j’ai entendu des tas de discours à Bruxelles, d’accord j’ai pas tout compris, je n’ai ni ta formation ni ta culture, mais sur l’URSS, au fond c’est ça que je pense depuis pas mal de temps. Le coup des chars russes à Prague en 68, ça m’est resté drôlement en travers de la gorge !
    – Je sais, Gigi, on en a déjà discuté. Je ne suis pas en train de te dire que tu es un toti qui s’est laissé rouler dans la farine. Ce serait te manquer de respect. Je veux juste m’assurer que tu sais ce que tu fais et que tu ne le regretteras pas demain.
    – Ce que je risquerais de regretter, c’est de ne pas saisir l’occasion de faire quelque chose que je trouve important, à mon petit niveau, c’est sûr, mais il faut bien que chacun fasse ce qu’il peut faire, non ? Pourquoi tu penses que Miguel m’a envoyé te voir ? Il avait bien vu que ça me travaillait !
    – Sur l’engagement, je te suis à cent pour cent ! J’espère seulement que tu continueras à garder les yeux ouverts et à t’intéresser à tout comme tu le fais en ce moment.
    – C’est bien mon intention, t’en fais pas !
    – Dans la vie, tu vois, et là je vais te chanter mon couplet vieux con, il y a beaucoup de gens qui abandonnent leurs convictions, par fatigue, par désillusion ou parce que la vie leur apporte autre chose… Je ne parle pas de ceux qui se font acheter avec une promotion, un joli mariage, c’est autre chose. Il y en a d’autres qui changent tout en tâchant de se persuader qu’ils restent fidèles à ce qu’ils étaient ; ceux-là parlent de pragmatisme.
    – C’est-à-dire ?
    – On va dire que ça consiste à regarder d’abord le possible, la possibilité d’agir sur la réalité. Par exemple, on connaît tous les deux des syndicalistes qui refusent de se battre sur certaines revendications en disant Mais le patron n’acceptera jamais ! Alors que d’autres partent de ce qui est nécessaire pour les gens, même si au départ ça semble impossible, le reste étant une question de rapport de forces et de négociation.
    – Je vois le genre.
    – Si tu as une demi-heure, je vais te montrer quelque chose.
    – Allez, c’est bon.
    Ber ferme le bureau et les voilà qui sortent de la Bourse. Ils descendent Garibaldi, traversent la Canebière et prennent Dugommier. Pas loin sur la gauche, après un cinéma qui passe surtout des westerns à la noix, Ber s’arrête devant un hôtel minable et montre une plaque apposée sur la façade. Ici est décédée le 9 janvier 1905 Louise Michel, héroïne de la Commune.
    – Louise Michel, ça te parle ?
    – Roger a une tante qui s’appelle comme ça, à Saint-Marcel, mais ça doit pas être la même…
    – Tè, ça c’est pas mal ! Mais non, tu as raison, c’est pas la même. Celle-là, elle a été, comme dit la plaque, une héroïne de la Commune de Paris, en 1871.
    – Ça, je connais.
    – La Louise, elle n’a pas fait partie des 20 ou 30 000 communards exécutés par ordre d’Adolphe Thiers, le sinistre Marseillais au prénom prédestiné. Elle a été déportée en Nouvelle-Calédonie, elle en revient en 1880 et jusqu’à sa mort elle défendra ses idées, l’antimilitarisme, l’anarchisme, contre la misère, pour les ouvriers, contre la peine de mort… Rien ne l’a fait céder et pourtant ils ont tout essayé ! On pourra en reparler, mais là, ce que je veux te dire, c’est qu’on n’est pas tous des héros, loin de là ! Seulement, de temps en temps, c’est pas mal de penser à des gens comme elle !

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  • Clichés marseillais #43

    Une histoire de plume d'aigle

    Intégré ! Voilà autre chose… Avec Roger, Gigi hésite parfois à poser des questions. D’un côté, il y a des choses qu’il ne comprend pas et qu’il aimerait comprendre ; d’un autre côté, pas très éloigné, il craint de boquer et de passer pour un ensuqué. Il attend un peu pour voir si ça va s’éclairer, et ça arrive de temps en temps. « Motion », par exemple, il n’avait pas compris, au début. Il avait cru que c’était un peu pareil qu’une potion, style potion magique dans Asterix, mais pas magique, bien sûr, que les camarades de Roger préparaient pour lui. Un truc dégueulasse à boire, genre rite initiatique, comme les petits Indiens – d’Amérique, les autres il connaît moins – qui doivent aller chercher une plume d’aigle pour devenir des hommes. Il n’avait rien dit, il ne voulait pas faire sa chochotte (à l’époque, on pouvait encore dire des trucs comme ça, mais Gigi comprendrait vite qu’il valait mieux arrêter s’il ne voulait pas se mettre à dos les camarades femmes de l’orga. – c’est comme ça qu’on appelait l’organisation –, plus communément appelées « les copines »). Donc, il s’était fait le canard et avait fini par capter que la motion, c’était une déclaration, un truc qu’on écrit puis qu’on envoie à quelqu’un. Et d’autres fois les choses restaient obscures, comme cette histoire d’état ouvrier dégénéré, à propos de quoi il se demanderait longtemps comment ces ouvriers dégénérés avaient pu se retrouver dans un tel état ! Alors Gigi se disait que ça ferait comme quand son grand-père Luigi était arrivé d’Italie : il avait appris le français sur le tas, en écoutant et en se creusant les méninges. Il voulait surtout pas se prendre le teston…
    Pour intégré, comme ils viennent de parler d’adhésions, il se dit que c’estt kif-kif bourrique.
    – Ben non, tu m’avais pas dit que j’étais intégré.
    Dit comme ça, même si c’est autre chose, ça passe !
    – Alors c’est que j’ai oublié. Mais c’était obligé, sinon tu aurais pas pu venir à Bruxelles. On a fait une intégration express !
    – Pour de bon ?
    – Non, ça n’existe pas, disons qu’on a fait Pâques avant les Rameaux ! s’esclaffe Roger. Tu connais l’expression ?
    – Eh sûrement, que je connais. Tu me prends pour un niais ou quoi ? Mais dis-moi, ton intégration, là, ça consiste en quoi ?
    – T’emballe pas ! Pour l’instant, tu es stagiaire, ça veut dire que tu participes à tout mais que tu peux pas voter. Dans six mois, on verra si on te titularise. Et il faudra que ça soit validé par la Direction de ville. Là, tu pourras voter. Mais si ça se fait pas dans les dix-huit mois, tu seras exclu…
    – Sympa !
    – Mais ça n’arrive jamais, t’inquiète ! Enfin, c’est rare… Pour le moment, tu vas venir à la prochaine réunion de cellule. Y aura les copains de l’usine, une copine qui travaille aux pâtes, Nicole et Robert que tu connais déjà et des étudiants parce qu’on sait plus où les mettre !

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  • Clichés marseillais #42

    Rue Sainte - Librairie Lire, suite

    Clichés marseillais #42Ils sont finalement une bonne quinzaine dans l’arrière-salle de la librairie. Il y a deux autres ouvriers de l’usine que Gigi ne savait pas encore faire partie des amis de Roger. Mais il ne faut plus dire les amis de Roger, comme le lui dit Roger, mais les camarades de l’organisation.
    – L’organisation de Roger, c’est bon, j’ai compris !
    – Mais non, tronche d’esque, l’organisation tout court !
    – Eh ça va, tu vois pas que je te fais marroner, et toi tu pites comme un mort-de-faim ?
    Les autres viennent de la réparation navale, des PTT et de deux ou trois petites boîtes. Il y a aussi un cheminot et une infirmière, c’est la seule femme du groupe. Ber est venu avec deux types du bâtiment et un banquier, enfin, banquier, disons un employé de banque ! L’affaire est rondement menée, ceux de l’usine ont préparé ce qu’ils appellent une motion, ils discutent une petite heure pour changer trois mots et deux virgules, tout le monde donne son accord, elle sera envoyée aux unions départementales de tous les syndicats et à la presse. On se quitte après avoir échangé des numéros de téléphone.
    Pendant que Roger voit les détails avec ses camarades les plus proches, Gigi traîne entre les rayons de la librairie qui a fermé ses portes. Le libraire a éteint une partie des lumières, l’ambiance est devenue intime. Gigi fait le tour en regardant les livres sur les tables puis il est attiré par le bruit d’une discussion provenant d’une autre salle encore plus petite, tout au fond, en fait un grand placard, où quelques jeunes, assis sur des cartons, sont engagés dans une discussion acharnée. Ça amuse Gigi de voir ces gamins – ils ont en fait un an ou deux de moins que lui, mais leur allure, leurs cheveux jusqu’aux épaules, les fait paraître plus jeunes – s’engatser comme ça. Il comprend qu’ils discutent pour savoir s’ils vont accepter l’adhésion d’un nouveau lycéen à leur organisation. Gigi pensait qu’ils cherchaient à recruter le plus de monde possible, mais apparemment ça n’est pas le cas, et l’adhésion en question ne va pas de soi. On reproche au gars – qui n’est pas là – ses liens avec « la social-démocratie » – en l’occurrence sa proximité avec son père qui est conseiller municipal socialiste. Tout en feuilletant vaguement un Précis historique et théorique du marxisme-léninisme qui lui semble pas mal fait du tout, il espinche du coin de l’oeil les jeunes qui sont maintenant passés au vote. Des petits papiers circulent et sont remplis avant d’être jetés dans un casque puis dépouillés. Le résultat est net, l’adhésion est refusée. Ce sera pour une prochaine fois…
    En quittant les lieux, après avoir salué Espana, Gigi raconte la scène à laquelle il vient d’assister.
    – Dis-donc, ils n’ont pas l’air tendres, les jeunes ?
    – Ah, eux ? C’est notre cellule lycéenne. Tu sais, en ce moment il y a beaucoup de jeunes qui veulent adhérer, alors ils sont obligés d’être un peu sélectifs.
    – Et moi, si je voulais adhérer, ça se passerait comme ça ?
    – Mais tu es déjà intégré, toi ! Je te l’avais pas dit ?

    (à suivre)

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  • Clichés marseillais #41

    Rue Sainte - Librairie Lire

    Clichés marseillais #41La réunion doit se tenir à la librairie Lire, rue Sainte, à un jet de pierre de O’Stop. Gigi ne connaît pas l’endroit, la seule librairie où il lui arrive de mettre les pieds, c’est chez Flammarion, sur la Canebière. Rien à voir avec cette boutique où l’on trouve plus facilement les oeuvres de Lénine que de Marcel Proust… Et ce n’est pas une image ! Des dizaines de volumes reliés, jaquette verte, prennent deux étagères. Ça doit en imposer, dans une bibliothèque !
    Les deux collègues sont en avance, Roger en profite pour présenter le libraire à Gigi. Jean Espana n’est pas grand et ce qui saute aux yeux c’est son imposante moustache et ses yeux pleins de vie qui pénètrent Gigi. Il sent comme une voix lui dire en silence Je t’ai reconnu ! La poignée de main est ferme. Il retourne à sa caisse et laisse ses deux visiteurs aller s’installer dans l’arrière-salle encore déserte.
    – Ce type est une figure à Marseille. Il a été exclu il y a trois ans du Parti communiste qui ne supportait plus sa liberté de parole. Son tort, c’est peut-être d’avoir été un peu trop naïf : en 1956, il a cru que Krouchtchev allait changer les choses en URSS et que les PC allaient devenir plus ouverts et plus démocratiques. Mais tu parles ! Macache ! À peine quelques mois plus tard, les Russes ont envahi la Hongrie où justement le PC au pouvoir menait une vraie politique d’ouverture. Tu te rappelles, la première fois qu’on a parlé, je t’avais raconté qu’en 68 à l’usine, le Gros avait traité les étudiants de fascistes ? Il leur avait jeté à la gueule qu’ils ne valaient pas mieux que Horthy, un fasciste hongrois qui avait soutenu Hitler ! Espana, c’est ce genre de choses qu’il ne supportait pas. D’abord, ils l’ont viré du Mouvement de la Paix, dont il était Président puis ils l’ont viré de son boulot de permanent. Il s’est retrouvé le bec dans l’eau. C’est là qu’avec quelques militants dans son genre, ils ont décidé de monter la librairie. Et depuis un an, on trouve tous les bouquins qu’on ne trouvait pas à la librairie du PC, rue Saint-Bazile. Et Jean accueille tous ceux qui ne trouvent pas de salle pour se réunir. C’est devenu le quartier général de la gauche contestataire marseillaise.
    – Et ça marche ?
    – Pour l’instant, ça a l’air de marcher. Bon, il y a bien eu un plasticage et un début d’incendie, mais il en faut plus pour effrayer le bonhomme. Il a été dans l’armée, dans la Résistance, il a même été lieutenant chez les CRS !
    – Un flic ?
    – Ça n’avait rien à voir. Après la guerre, des tas de résistants ont intégré les CRS. Les communistes y avaient pas mal d’influence. Mais ça duré quoi, deux ou trois ans et puis De Gaulle les a virés. Aucun rapport avec nos CRS d’aujourd’hui !
    Gigi trouve quand même ça bizarre. Il regarde le libraire à sa caisse sous un jour nouveau… La porte s’ouvre et un courant d’air froid s’engouffre dans la boutique en même temps qu’une dizaine de gaillards qui semblent bien agités.
    – Ah, voilà les camarades qui arrivent, on va s’occuper de toi, dit Roger.

    (à suivre)

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