• Clichés marseillais #46

    Noël marseillais

    Les jours passent, novembre s’achève dans la grisaille du ciel et des esprits. Gigi attend son procès qui aura lieu en janvier. Roger s’occupe de sa défense, trouve des témoins de moralité. Le nom fait beaucoup rire Stella.
    – Si je leur raconte ce qu’on fait ensemble, ta moralité elle va tomber en chute libre !
    À Saint-Marcel, on a vite fait de trouver des candidats. Une ancienne institutrice de Gigi s’est présentée spontanément chez les parents.
    – Mais comment vous êtes au courant Madame Boyer ? a demandé Madame Baldini.
    – C’est pas bien dur, vous savez ! D’abord, la moitié des gamins du quartier sont passés dans ma classe. Après, toutes les bazarettes s’en donnent à cœur joie sur le marché. En tout cas, vous pouvez compter sur moi !
    Le contremaître de Gigi lui a dit qu’il voulait témoigner.
    – Ça va pas vous faire tort, Monsieur Puissant ?
    – Je m’en cague ! L’année prochaine, je pars à la retraite, je n’ai rien à perdre. Ils me feront pas un deuxième trou du cul ! Je veux faire un truc bien pour toi.
    – Alors merci, merci beaucoup !
    La mère de Stella s’y est collée ; elle a convaincu un cousin curé qui a rencontré Gigi une fois au salon. Enfin, disons ancien curé, parce que lui il s’est défroqué pour marier une fille qu’il avait engrossée, comme disait Madame Bazzali.
    L’avocat était content et se marrait :
    « Une institutrice, un contremaître et un curé : l’école, le travail et l’église, que rêver de mieux ? »

    Noël approche, les jours continuent de raccourcir. Pour Gigi, c’est la pire période de l’année. Passé le 21 ou 22 décembre, même si c’est l’hiver, les jours commencent à rallonger et il se dit qu’on va vers l’été. Après, c’est l’été jusqu’au 21 septembre, c’est bon. Mais l’automne… Et Noël, les préparatifs, les achats, la famille… Ça le déprime. Quand il descend à la Bourse après le travail, il évite les rues de Rome et Saint-Ferréol bourrées de gens encombrés de paquets.
    Le meilleur souvenir que Gigi garde de Noël, c’est quand son père les emmenait en ville, sa sœur et lui, quand ils étaient minots, faire les dernières courses. Pour l’occasion, ils prenaient le train jusqu’à Saint-Charles. Il suffisait ensuite de descendre le grand escalier, d’entendre à chaque fois le père raconter qu’une voiture les avait un jour empruntés, de se laisser tirer le portrait par un photographe de rue et ils avaient la Canebière à portée de vue. Ils approchaient du saint des saints, car pour les Marseillais, la ville se réduit à un quadrilatère délimité par la Canebière, la rue Paradis, la Préfecture et le cours Lieutaud. Au-delà, on passe dans les contrées limitrophes dénommées « les quartiers ».
    Ils étaient donc « en ville », là où dans un rayon d’une centaine de mètres, les Marseillais trouvent tout ce qu’il faut pour un bon Réveillon : Toinou, Dromel et Michel. Toinou pour les huîtres et les moules, Dromel pour les fondants, chocolats, pâtes de fruits et marrons glacés, Michel pour la pompe. Bien sûr, il fallait s’y rendre au dernier moment, c’est-à-dire le matin du 24 décembre, pour que tout soit le plus frais possible. Et bien sûr, il y avait la queue partout. Et c’était ça le mieux ! Faire la queue dans les odeurs d’iode, de sucreries et de fleur d’oranger ! Pas de vrai Noël sans queue !
    Aujourd’hui, Gigi se demande si un jour lui aussi emmènera ses enfants faire les courses de Noël en ville.

    (à suivre)

    À suivre chaque jour sur https://www.facebook.com/jeanpaul.garagnon

    L'intégrale est à retrouver sur ce blog http://brigou.eklablog.com/cliches-marseillais-c31530712

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