• Maria Pourchet, Western

    Rentrée littéraire 2023 #10

    Maria Pourchet, Western   

    Dès les premières pages, Maria Pourchet nous livre un paragraphe qui a posteriori aurait dû nous alerter. Extrait : Aurore attend dans un couloir qu’un supérieur la reçoive, c’est prévu. Elle parcourt, centimètre par centimètre, la progression d’un lierre véritable sur le mur peint, son ingéniosité à envelopper les obstacles dont une rampe métallique, une applique en verre, une corniche, à les étouffer, à revenir sur lui pour masquer les espaces nés de son propre enchevêtrement, à gagner, à supporter par endroits son propre poids par l’épaississement soudain de ses tiges, à le fuir par un surgeon, fixant les extrêmes de ses plus débiles ramures aux microreliefs de la peinture de plus en plus près des ouvertures, histoire d’aller filtrer la lumière partout où elle frappe. Devant ce défi d’intelligence et d’adaptation rampante, semblant soutenir le mur qu’en vérité ce lierre dévore sous prétexte d’ornement, elle voudrait qu’on lui apprenne que le premier homme ne descend pas de la dernière brute crétacée mais du végétal.

    Ce lierre, dans le roman, ce sera l’homme qui séduira de la même façon une jeune femme, filtrant la lumière (l’entourant de son ombre), dévorant ce qu’il semble soutenir. N’en sont pas moins gratuites les allusions à l’épaississement de ses tiges ou le surgeon… Mais on n’en est qu’au début et le processus de séduction-étouffement sera pour plus tard, sans trop tarder. Et là, on plonge du côté obscur de la séduction, jour après jour, texto après texto, le prédateur tissant une toile de plus en plus serrée dont la victime, consentante malgré elle, ne saura plus sortir. L’issue est donnée rapidement, l’essentiel étant le parallèle entre cette entreprise d’anéantissement et une tentative de rédemption qui suivra la chute.

    Pourquoi Western ? Pourchet a choisi son titre au vu des canons du genre  cinématographique comme la destinée de l’homme solitaire que l’on recherche, le rôle des femmes, à la ferme ou au saloon, etc. Extrait : « Aussi, nous y sommes, tout au bord du western.
    J’entends par western un endroit de l’existence où l’on va jouer sa vie sur une décision, avec ou sans désinvolture, parce qu’il n’y a plus d’autre sens à l’existence que l’arbitraire. C’est un lieu assez nu, on s’y rend au sens du verbe « se rendre ». L’autre y est un décor et le temps dilaté. Le western se fout de son temps et de faire avec, il va contre. Ne coïncident plus l’homme et le manque mais l’homme et la plaine.
    Quelque chose précède toujours le western : une logique violemment personnelle et dérisoire, vouée à finir, faite d’ordre et de ville, de liens et d’habitudes. Et de dettes. »

    Le décor était planté dès la première page. Extrait : « Pour le moment le théâtre est fermé, il ouvrira bientôt pour la première du Dom Juan de Molière. Pour le moment, on y travaille. Le plateau est éclairé et presque nu : un écran de projection d’environ quatre mètres sur six et, plantée au centre, une porte de saloon ouvrant sur le vide. Rien autour. Sur l’écran gigantesque s’anime à peine un paysage minéral en plein soleil. Une étendue de terre sèche, une chaîne de montagnes jaunes que limitent au tout premier plan quelques végétaux étendant une ombre courte qu’un cheval recherche. L’image assoiffe. »

    Ça, c’est le décor pour Alexis, l’homme. La jeune femme séduite, Chloé, n’en a pas, elle vit dans le rêve et les textos. Et puis il y a la rédemptrice, Aurore, pour qui ça démarre plutôt mal au boulot, on comprend son envie d’ailleurs. Extrait, elle part au travail : « Quelques mois plus tôt, dans la même ville, une femme emprunte un ascenseur, une femme un peu quelconque, bientôt sortie sur le trottoir et que la ville bouffe direct avant même qu’elle ait pu la regarder. Pas si quelconque de près, une belle peau, des muscles et des yeux luisants, tout noirs, de petit gibier. Elle a déjà le cœur au bord des lèvres à 9 h 10, c’est comme une habitude. Elle s’appelle Aurore. Aurore crève de chaud, ses cheveux collent en paquets sur sa nuque, une mince auréole s’étend entre ses omoplates mais sur du blanc ça ira. À la façon d’un grand sac, elle déplace dans la rue son corps déréglé, à la fois sec et plein d’eau, luttant sans intuition contre une chaleur qu’il ne sait pas comment faire sienne, pas encore. Il fait déjà vingt-huit degrés. Le sac a pour seule inspiration d’être balancé à l’eau le plus vite possible, comme ça il irait d’instinct à la Seine, mais il attendra. »

    Cet étrange assemblage de western et de Dom Juan sera résolu par cette femme qui brisera les canons en endossant le rôle de la statue du Commandeur. Belle pirouette !

    Maria Pourchet, Western, Stock, 304 pages

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