• Clichés marseillais #54

    Clichés marseillais #54

    Rue Navarin

    Clichés marseillais #54En sortant du Snick-Snack, Gigi accompagne Roger jusqu’au local de l’organisation où il a une réunion de la Direction de ville. Entre eux, les militants disent « la dévé » et Gigi a mis un moment à comprendre de quoi il s’agissait. Il fait celui qui sait en attendant de comprendre par lui-même. C’est comme avec cette notion d’état ouvrier dégénéré et même « bureaucratiquement dégénéré ». On voit par là qu’il a lu et qu’il pénètre à pas de tortue les arcanes du marxisme révolutionnaire.
    Gigi, c’est le mec qui veut apprendre. Pourquoi n’a-t-il pas poussé les études plus loin ? L’exemple de Claudine ? Sa soeur a envoyé valser le lycée après avoir rencontré « son jeune ». Elle a trouvé cette place à L’Entrecôte et y a fait son trou. Pas forcément la mauvaise boîte : le patron n’est pas chien, les filles sont sympas, le service pas compliqué avec la formule unique, salade aux noix, entrecôte et la sauce secrète que si tu dis que tu la connais c’est que tu es rien qu’un menteur, frites maison à volonté. Il n’y a qu’un vin à la carte, produit par la famille, c’est même pour écouler la production qu’ils ont monté les restaurants ! Pas con… Claudine a bien encapé, elle fait son trou et se retrouve Chef de rang. Salaire correct, tout baigne et c’est à ce moment-là que son jeune se fait la malle. Gigi s’est peut-être senti gêné de rester à la charge de ses parents alors que sa soeur est devenue autonome.  Et voilà ce grand couillon qui largue le lycée six mois avant le bac parce qu’il a trouvé une place chez un menuisier de la Capelette ! Allez, pas la peine de s’engatser, ce qui est fait est fait !
    Mais on parle, on parle et de ce temps ils arrivent rue Navarin, une perpendiculaire à la rue de Lodi, en face le cours Bastide. Une porte – on est brave, on va l’appeler comme ça – 1,40 m de haut, au ras du trottoir. Tout de suite derrière, une volée de quelques marches mène dans ce que l’on veut bien appeler une cave mais qui tient davantage du cafoutche. Deux pièces avec pour seule aération les fentes dans la porte et deux ampoules nues au plafond comme seul éclairage. On trouve ce genre de local au bas des immeubles marseillais traditionnels, des caves avec accès extérieur, le plus souvent loués par des artisans comme lieu de stockage : plombiers, maçons, électriciens. Celui-ci est loué par l’organisation, elle y tient ses réunions en dehors des heures d’ouverture de la Faculté Saint-Charles qui est la résidence attitrée de toute l’extrême-gauche marseillaise. On y trouve deux ronéos Gestetner, une machine à écrire, des stocks d’affiches pas collées, de tracts pas distribués, des balais, des seaux, des drapeaux, des banderoles et tout un matériel de sérigraphie. Roger fait faire le tour du propriétaire – disons plutôt du locataire – et baisse la tête, Gigi, toi que tu es grand, va pas t’ensuquer, les poutres sont basses ! Et attention aux cordes ! Dans la deuxième pièce il y a en effet des cordes tendues entre deux murs, près du plafond.
    – Vous faites la lessive, ici ? demande Gigi.
    – Et qué lessive ? C’est pour les affiches !
    Roger montre sur une étagère tout un matériel de sérigraphie et explique à son collègue comment ça marche.
    – Et au fur à mesure on met les affiches à sécher sur les fils. À la fin, je te dis pas le oaï là-dedans ! Et l’odeur, mon pauvre ! Si tu veux, un jour qu’on en tire une, tu viens donner la main ?
    – C’est ça, je vais y réfléchir… En attendant, je te laisse, je vais un peu voir Claudine avant qu’elle reparte au boulot. Et je vais faire les commissions : ce soir je fais le manger pour Stella.
    – Oh malheureux, c’est du sérieux là ! Qu’est-ce tu lui prépares ? Une soupe de langue ? Allez, va, boulègue, et bonne soirée, hein ?

    (à suivre)

    À suivre chaque jour sur https://www.facebook.com/jeanpaul.garagnon

    L'intégrale est à retrouver sur ce blog http://brigou.eklablog.com/cliches-marseillais-c31530712

    « Clichés marseillais #53Clichés marseillais #55 »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :