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Cécile Desprairies, La propagandiste
Rentrée littéraire 2023 #07
Cécile Desprairies, La propagandiste
Cécile Desprairies est historienne et ce livre est à la croisée du roman historique et du récit familial. Avec une pointe d’autobiographie. Dans ce genre de récit, on trouve globalement deux types de personnages : les héros et les antihéros. Nous voilà clairement du côté sombre de l’histoire avec cette famille d’antisémites, collabos et carrément nazis. Tous ont trempé jusqu’aux oreilles et rempli leurs poches pendant l’occupation allemande de la France entre 1940 et 1944. L’auteure est depuis des années spécialiste, en tant qu’historienne, de cette période, mais il lui a fallu attendre longtemps avant de pouvoir aborder la question par la porte familiale. On la comprend ! Parce que ce n’est pas bien joli…
L’intérêt de la narration repose sur la vision naïve et très partielle qu’une enfant née en 1957 pouvait avoir à l’écoute des propos rances de ses mère, tante et grand-mère qui ressassaient indéfiniment leur faste passé en maudissant « les salauds » qui les en avaient dépouillées. Entendez par « salauds », en vrac, les juifs, les résistants, les Américains et j’en passe. Elle capte des mots, les interprète à sa façon, bâtit une histoire fantasmée alimentée par le fonctionnement de cette famille dysfonctionnelle.
Lucie, la mère, est restée bloquée sur son grand amour de jeunesse, Friedrich, un Alsacien plus nazi que les nazis, mort dans des circonstances peu claires. Elle va vivre le reste de sa vie, se marier, avoir des enfants tout en restant fidèle à Friedrich. Un passage nous donne l’essence de son comportement :
« Lucie encourage ses enfants au petit déjeuner en leur servant une bouillie d’avoine qui ressemble fort à du muesli, mais n’en a pas le goût. « Une cuillère pour Lucie. Une autre pour Friedrich. » Qui est Friedrich ? se demandent-ils. Seuls ceux qui mangent la bouillie sont intéressants pour Lucie. Ceux qui préfèrent le pain l’encombrent. Il y a ainsi les enfants-toasts et les enfants-bouillie. Les enfants-toasts, aux tartines beurrées en forme d’« ailes de papillon », seront les enfants du second père, Charles ; tandis que les enfants-bouillie, plus malléables, dont l’aliment décore le rebord de l’assiette en forme de « pétales » dessinés par Lucie pour le faire refroidir, seront ceux de Friedrich. « Un pétale pour Lucie. Un autre pour Friedrich », dit-elle en ouvrant la bouche en même temps qu’eux. C’est avec ces derniers qu’elle partage son histoire douloureuse et ses envolées de als ob. Il faut aimer la bouillie pour être avec Lucie. »
En effet, quelle bouillie dans ce pauvre cerveau malade !
Cécile Desprairies, La propagandiste, P.O.L, 288 pages
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