• Clichés marseillais #41

    Clichés marseillais #41

    Rue Sainte - Librairie Lire

    Clichés marseillais #41La réunion doit se tenir à la librairie Lire, rue Sainte, à un jet de pierre de O’Stop. Gigi ne connaît pas l’endroit, la seule librairie où il lui arrive de mettre les pieds, c’est chez Flammarion, sur la Canebière. Rien à voir avec cette boutique où l’on trouve plus facilement les oeuvres de Lénine que de Marcel Proust… Et ce n’est pas une image ! Des dizaines de volumes reliés, jaquette verte, prennent deux étagères. Ça doit en imposer, dans une bibliothèque !
    Les deux collègues sont en avance, Roger en profite pour présenter le libraire à Gigi. Jean Espana n’est pas grand et ce qui saute aux yeux c’est son imposante moustache et ses yeux pleins de vie qui pénètrent Gigi. Il sent comme une voix lui dire en silence Je t’ai reconnu ! La poignée de main est ferme. Il retourne à sa caisse et laisse ses deux visiteurs aller s’installer dans l’arrière-salle encore déserte.
    – Ce type est une figure à Marseille. Il a été exclu il y a trois ans du Parti communiste qui ne supportait plus sa liberté de parole. Son tort, c’est peut-être d’avoir été un peu trop naïf : en 1956, il a cru que Krouchtchev allait changer les choses en URSS et que les PC allaient devenir plus ouverts et plus démocratiques. Mais tu parles ! Macache ! À peine quelques mois plus tard, les Russes ont envahi la Hongrie où justement le PC au pouvoir menait une vraie politique d’ouverture. Tu te rappelles, la première fois qu’on a parlé, je t’avais raconté qu’en 68 à l’usine, le Gros avait traité les étudiants de fascistes ? Il leur avait jeté à la gueule qu’ils ne valaient pas mieux que Horthy, un fasciste hongrois qui avait soutenu Hitler ! Espana, c’est ce genre de choses qu’il ne supportait pas. D’abord, ils l’ont viré du Mouvement de la Paix, dont il était Président puis ils l’ont viré de son boulot de permanent. Il s’est retrouvé le bec dans l’eau. C’est là qu’avec quelques militants dans son genre, ils ont décidé de monter la librairie. Et depuis un an, on trouve tous les bouquins qu’on ne trouvait pas à la librairie du PC, rue Saint-Bazile. Et Jean accueille tous ceux qui ne trouvent pas de salle pour se réunir. C’est devenu le quartier général de la gauche contestataire marseillaise.
    – Et ça marche ?
    – Pour l’instant, ça a l’air de marcher. Bon, il y a bien eu un plasticage et un début d’incendie, mais il en faut plus pour effrayer le bonhomme. Il a été dans l’armée, dans la Résistance, il a même été lieutenant chez les CRS !
    – Un flic ?
    – Ça n’avait rien à voir. Après la guerre, des tas de résistants ont intégré les CRS. Les communistes y avaient pas mal d’influence. Mais ça duré quoi, deux ou trois ans et puis De Gaulle les a virés. Aucun rapport avec nos CRS d’aujourd’hui !
    Gigi trouve quand même ça bizarre. Il regarde le libraire à sa caisse sous un jour nouveau… La porte s’ouvre et un courant d’air froid s’engouffre dans la boutique en même temps qu’une dizaine de gaillards qui semblent bien agités.
    – Ah, voilà les camarades qui arrivent, on va s’occuper de toi, dit Roger.

    (à suivre)

    À suivre chaque jour sur https://www.facebook.com/jeanpaul.garagnon

    L'intégrale est à retrouver sur ce blog http://brigou.eklablog.com/cliches-marseillais-c31530712

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