• J’avais décidé de placer mes ateliers de la saison sous le signe de Roland Barthes. D’abord parce que le centenaire de sa naissance serait commémoré en novembre. Ensuite parce que je m’étais aperçu que j’utilisais de plus en plus souvent ses textes dans mes ateliers. Et parce que sa réputation d’hermétisme rendait nécessaire une approche décomplexante pour permettre à tous d’aborder un auteur qui me semblait de plus en plus essentiel pour réfléchir à la littérature et à une pratique d’écriture.
    En septembre, quand est paru le roman de Laurent Binet, La septième fonction du langage, j’eus une raison de plus pour recourir à Barthes. Binet en fait le personnage d’un thriller historique et linguistique tout à fait délectable.
    L’autre auteur dont je comptais parler régulièrement était bien sûr Roberto Bolaño dont les non-lecteurs ignorent encore la chance qu’ils ont car ils vont pouvoir découvrir une oeuvre dont on n’entrevoit probablement qu’à peine encore la profondeur.
    Ainsi fut-il fait.

    Jusqu’à ce jour où je commençai mon cycle sur l’Écriture du mal. Au moment de me lancer, en lançant un coup d’oeil distrait sur mes notes, deux lettres me sautèrent au visage : RB. Roberto Bolaño, Roland Barthes. De qui s’agissait-il ? Se pouvait-il qu’il s’agît du même personnage ? Matériellement la chose était impossible : le Chilien naît en 1953, Barthes a trente-sept ans. Le Français meurt en 1980 alors qu’il reste encore vingt-trois ans de vie pour Bolaño. Mais ce dernier n’écrit son premier roman, Anvers, qu’en 1983. Et Barthes a été torturé durant ses dernières années de vie par la question d’écrire une fiction. Pouvait-il avoir produit une œuvre considérable sur la littérature sans écrire lui-même une fiction ? Ressentait-il lui-même l’illégitimité dont certains critiques le taxaient ? A-t-il pu insuffler à Bolaño son inspiration ?
    Je paniquai quelque peu en imaginant cela tandis que j’ânonnais les prémices de ce premier atelier sur le mal. En même temps, je voyais en face de moi les mines se décomposer, les regards errer de l’un à l’autre. Je ne savais plus où j’en étais, je voulus changer de consigne au vol, comme on change de cheval au galop… Je savais que je venais de mettre le doigt sur quelque chose qui me préoccuperait durablement, mais j’avais perdu mon auditoire…

    Jean-Paul


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique