Rentrée littéraire 2022 #14

Émilienne Malfatto, Le colonel ne dort pas

C’est une guerre qui ne dit pas son nom. Ni « opération spéciale », ni « pacification », ici on parle de « reconquête ». Mais c’est bien une guerre, comme toutes les guerres, sauf qu’on ne la voit pas, qu’on ne sait pas quand elle se déroule ni où elle se passe. Mais il y a la Ville, le général, le colonel et quelques autres. Il y a une villa et son sous-sol où sont amenés des hommes sur lesquels le colonel va faire son « travail », car c’est un spécialiste. « Tous les matins, au sous-sol de l’immeuble encore debout du quartier des tanneurs, le colonel entre dans la pièce où l’attend son travail du jour. C’est ainsi qu’on dit : le travail, et tout le monde comprend. Le premier qui comprend est l’homme assis sur une chaise (faut-il encore l’appeler homme ? se demande le colonel. Il est déjà brisé, il n’y aura pas grand-chose à faire). » Certains matins, il s’y met avec plus d’entrain que d’autres. « Alors, ce matin-là, le colonel coupe, taille, sectionne plus rageusement que d’habitude. Lui déjà silencieux ne prononce pas un mot et cela étonne fort les autres, dans la pièce du sous-sol, parce que, auraient-ils envie d’objecter, le principe même de la Section spéciale est de poser des questions, d’arracher des réponses (arracher, quel terme approprié). »
Pendant ce temps, le général joue aux échecs contre lui-même, dans son bureau qui prend l’eau. Même l’envoyé de la Capitale, arrivé martial et viril, s’en repartira gagné par cette espèce d’apathie qui gagne tous les hommes.
Entre chaque chapitre narrant l’histoire du colonel à la troisième personne, un texte en forme de poème nous en livre les pensées.
 
Émilienne Malfatto, Le colonel ne dort pas, Éditions du Sous-sol, 112 pages