• Clichés marseillais #25

    Clichés marseillais #25

    Manif interdite, suite

    Clichés marseillais #25Un couloir, néons jaunes sur murs beigeasses, carrelage assorti. Des bancs en bois occupés  par une vingtaine de personnes. Gigi reconnaît des gars de l’usine pour moitié, l’autre composée de jeunes aux cheveux plus longs, dans le style étudiants. La plupart regardent le carrelage comme le truc le plus passionnant qu’ils aient vu depuis leur communion solennelle. Roger est là aussi, à côté de Gigi. Tout est allé très vite.

    Rue Papère, des flics en civil sont arrivés et ont pris le relais des CRS. Les nerfs de boeuf ont remplacé les matraques. Gigi en fera constater les traces plus tard par un médecin assermenté, il les gardera pendant des semaines. Des mains l’ont soulevé et ramené sur la Canebière pour le faire monter dans un panier à salade. C’est à ce moment-là que sa soeur est arrivée comme une furie pour tenter de l’arracher aux mains des policiers :
    – Lâchez-le, c’est mon frère ! Lâchez-le !
    Elle agrippe Gigi, mais les flics lui font lâcher prise. Elle va rester là à hurler en tambourinant sur les portes du fourgon refermées sur sept ou huit gars qui n’en mènent pas large. Jusqu’à ce qu’on lui explique sèchement que si elle continue elle va finir dans le fourgon. Claudine expliquera le soir à leurs parents qu’elle faisait les magasins avec sa copine Suzie quand elle avait vu son frère se faire embarquer. Branle-bas de combat à Saint-Marcel !

    Mais revenons à l’Evêché, l’Hôtel de police où un fourgon gris vient d’entrer. Quelques uniformes en sortent et pénètrent dans le bâtiment. On les retrouve un étage plus haut, ils arpentent un long couloir encombré de bancs et d’hommes sur les bancs. Le groupe en bleu progresse lentement, jusqu’à ce qu’un des uniformes se plante devant Gigi. Et de sa bouche ensanglantée, il lâche :
    – C’est lui !
    – Tu es sûr ?
    – Sûr !
    Gigi regarde le type, pas évident de le reconnaître, sans le casque et les lunettes, il se sent donc parfaitement légitime pour adopter une mine dosant habilement incompréhension et ahurissement.
    Un civil prend Gigi par le bras :
    – Viens avec moi.

    Une heure après, Gigi est conduit au sous-sol et placé dans une cellule de garde à vue, sans lacets, sans ceinture. Il va passer la nuit sur un bas-flanc en bois, il fait froid, ça pue et ses compagnons ont braqué un camion de pastis pour l’un, battu sa femme pour l’autre. Être accusé d’avoir tapé sur un flic lui vaut un certain respect, même s’il s’en défend mordicus. Des années plus tard, en passant derrière l’Evêché, Gigi dira à sa fille, en montrant un soupirail au ras du trottoir :
    – Tu vois, c’est là que j’ai passé une nuit en prison !
    On a les gloires que l’on peut !

    Pendant l’interrogatoire, il a raconté un peu n’importe quoi, s’étalant sur des détails sans importance. L’inspecteur en a fait trois pages, et trois pages tapées à deux doigts, c’est long ! Mais à la fin, Gigi n’a rien voulu signer, comme le lui avait conseillé Roger quand ils attendaient dans le couloir. La gueule du flic ! Mais il avait beau insister, Gigi n’avait rien voulu savoir. Un peu buté, le garçon !

    Le lendemain matin, Gigi est transféré au Palais de justice. Menottes, fourgon cellulaire, parking sous-terrain, cellule de deux mètres carrés, sous-terrain au-dessous de la rue Fortia, escalier, hall, bureau d’un procureur. Dans le hall, Gigi a aperçu ses parents et sa soeur, ainsi qu’un délégué de l’usine. Au bout d’un quart d’heure, il ressort inculpé mais libre. Visiblement, l’intervention du syndicat a pesé.

    (à suivre)

    À suivre chaque jour sur https://www.facebook.com/jeanpaul.garagnon

    L'intégrale est à retrouver sur ce blog http://brigou.eklablog.com/cliches-marseillais-c31530712

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