• Mathias Enard, Déserter

    Rentrée littéraire 2023 #02

    Mathias Enard, Déserter

    Deux récits parallèles dans le nouveau roman de Mathias Enard (Prix Goncourt 2015 pour Boussole).
    Années 1990, un paysage méditerranéen non identifié, un déserteur côté vainqueurs, une jeune paysanne et son âne, côté vaincus. Il veut échapper à l’horreur vécue, elle veut fuir le pays, aller vers le nord, passer une frontière. Rencontre électrique entre eux que leur leur passé commun dans le même village a rendus adversaires irréductibles, bourreau et victime.
    Un paysage de roches blanches, de pins, de romarin, qui nous est proche, dont on reconnaît les couleurs et les senteurs, qui rend la guerre plus perceptible. Oui, c’est un peu chez nous, ça pourrait être ici…

    Années 2000, autour d’un 11 septembre resté dans les mémoires, la fille âgée d’un mathématicien participe à un colloque sur la vie et les travaux de son père. La mémoire de la fille plonge dans la mémoire du père, la guerre, le nazisme, l’idéal communiste qui le décide à rester à Berlin, côté Est. Pourquoi ?

    Les deux époques ont bien sûr un lien, même s’il peut sembler ténu au lecteur inattentif. Mais on ne le dévoilera pas.

    Cette construction méticuleuse est portée par une langue aussi fleurie que la barbe de l’auteur ! Le passage sur l’orage et la foudre est un grand moment de littérature. Extraits :
    « Le soleil a disparu soudain ; la lumière portait une stridence violacée, c’était une lumière d’intérieur, comme si le soir était déjà là, le soir est déjà là, elle a tourné le visage vers le ciel, elle a tiré sur la longe, essayé de rassurer l’âne – le tonnerre écrase la terre de sa rage éclatante, interminable, à l’étroit entre les montagnes, qu’il semble écarter ; le tonnerre ouvre en roulant l’adret, le tonnerre infini court sous les coups de l’éclair, haché, sèche étincelle de géants qui fend les pierres de son craquement – la foudre est tombée tout près, la foudre tombe toujours tout près, elle sent son odeur d’ozone, sa lumière a aveuglé l’œil borgne de l’âne d’un horrible reflet…
    […]
    une explosion formidable éclate, les projette en arrière, l’âne et elle, dans un grand vol de bois, de branches, d’échardes, de flammes, à plusieurs mètres de distance, contre le sol trempé, poursuivis par la démence de la lumière, par les feuilles fumantes qui feulent sur leur tête, les bruits d’écrasement, de déchirure de toute chose sifflent dans l’oreille, l’odeur soudaine de bois brûlé, de vapeur d’eau et de silex, l’odeur du feu du ciel, l’odeur d’incendie instantané, de combustion immédiate dans le craquement de rochers, le fracas de la détonation de la foudre. »

    Mathias Enard, Déserter, Actes Sud, 256 pages

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