Rentrée littéraire 2022 #19

Mathieu Belezi, Attaquer la terre et le soleil

La République n’est pas bonne fille, c’est là son moindre défaut. Pour coloniser l’Algérie, en ce milieu du XIXe siècle, elle envoie de pauvres gens, leur accordant sept hectares de mauvaise terre à défricher au milieu d’indigènes – comme on disait – qui n’admettent pas – les ingrats – qu’on leur apporte la sécurité pour remplacer la barbarie dans laquelle ils ne savaient pas qu’ils vivaient jusque là. Ajoutez à cela une épidémie de choléra et toutes sortes de maladies et vous obtenez le tableau apocalyptique dressé par Mathieu Belezi.

Ce qui avait pu pousser ces familles à accepter de s’expatrier, ce n’est pas dit. Mais est-ce nécessaire ? Qu’elles qu’en fussent leurs motivations, misère ou ambition, les voilà tous dans le même enfer. Belezi ne nous dit pas que ces colons ont été envoyés au départ pour nourrir le corps expéditionnaire français. Parce que pour civiliser et pacifier, il faut bien envoyer la troupe. Entre 100 et 200 000 soldats français y laissèrent leur peau.

Ce qui ressort de ce livre, c’est la peine, la douleur, l’horreur pour tous ses protagonistes, dans l’alternance du récit d’une femme dans un village de colons et de celui d’un soldat du corps expéditionnaire. Les « colons » labourent une terre ingrate faite de poussière et de cailloux, y creusant en permanence les tombes de leurs morts, victimes des maladies ou dépecés par les insurgés. Les soldats sont entraînés dans une folle expédition, fanatisés jusqu’à basculer dans l’abjection, tandis que les Algériens sont tués de la pire façon, enfumés par centaines dans les grottes où ils s’étaient réfugiés avec femmes et enfants.

Que faire quand vous avez tout quitté en pensant trouver une terre où vous établir et prospérer, quand vos rêves tombent en poussière et meurent vos enfants ? Voilà la question que l’auteur parvient à faire naître dans la tête du lecteur.

Mathieu Belezi, Attaquer la terre et le soleil, Le Tripode, 160 pages