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Gaëlle Obiégly, Totalement inconnu
Rentrée littéraire 2022 #23
Gaëlle Obiégly, Totalement inconnu
Je partage avec Gaëlle Obiégly une expérience très particulière, qu’elle expose au début de son livre. « Il y a un million et demi d’années, environ, mon cerveau a subi une sorte d’explosion. Il s’est dilaté soudainement. Et depuis ça, j’ai besoin d’être écoutée. Mon cerveau a grossi et il s’est retrouvé serré dans le crâne. C’était très inconfortable. » Pour ma part, c’est plus récent puisque ça remonte à une cinquantaine d’années. Ça démarrait bien, j’ai prêté une attention redoublée à la suite du propos.
Je trouvai rapidement une autre similitude dans cette interrogation. « Quelle est la différence entre une personne cultivée et une personne érudite ? Il découle de l’un et l’autre adjectif un substantif, l’un est gratifiant, l’autre est péjoratif. L’érudit, presque toujours un homme. Et le cultureux. Je crois que le cultureux, c’est celui qui se cultive, ou qui cherche à savoir des choses pour exhiber son savoir auprès des autres et se faire admirer pour cela. Il ne sait pas être seul. Pourquoi je ne montre pas mes connaissances ? Parce que j’ai horreur des conversations culturelles. » Et là, je me dis qu’en effet, je connais quelques cultureux assez agaçants (mais ils le savent, je le leur dis) et que moi aussi j’ai horreur des conversations culturelles. Ça continuait de belle façon, nous avions des choses à nous dire.
Elle accentue ensuite le trait. « Quelqu’un qui raconte un instant crucial de son existence, ou même un petit bout de sa vie, me gêne moins qu’une personne qui étale sa culture. La curiosité intellectuelle est louable mais la gloire mondaine qu’on y cherche ça mérite un crachat. Montrer ses connaissances, son pouvoir, son goût, ses possessions, c’est d’une certaine mocheté, non ? C’est peut-être à cause de cette défiance vis-à-vis d’un certain exhibitionnisme que j’associe l’érudit et le dandy. » Mais oui, bien sûr, les histoires des gens sont tellement plus intéressantes que les références culturelles !
J’en arrivai à me dire que nous devions absolument nous rencontrer quand je relevai pas moins d’une quinzaine de fois dans le texte la même interrogation. « Qu’est-ce qu’être mort ? De quelle manière puis-je connaître la mort ? Eh bien, en étant mort. Tout simplement. Donc, je ne peux en témoigner que si j’ai déjà été morte. Nul ne peut témoigner de la mort à moins d’avoir été mort et d’avoir ressuscité. D’avoir été ressuscité. » Mais oui, voilà LA QUESTION ! « Comment c’est d’être mort ? » La question à laquelle on est certain que personne ne peut répondre ! La seule qui vaille.
Obiégly se sent particulièrement concernée car en elle loge le soldat inconnu. C’est grâce à cette cohabitation qu’elle écrit ce livre en prétextant une conférence à donner prochainement. On la voit donc venir, avec sa façon décapante de traiter du paradoxe. Si les études et recherches sur le soldat inconnu aboutissaient, il ne serait plus inconnu et partant, avec son anonymat, perdrait tout son intérêt. « C’est paradoxal, pour être le mort célébrissime il faut être anonyme, inconnu disons. »
On trouvera bien d’autres questions méritant l’examen de la narratrice. Comme le fait que Kant l’a excitée bien plus que les écrits du marquis de Sade ; ou que l’on connaît d’une certaine façon les choses que l’on ne connaît pas, comme Virginia Woolf ou la Finlande. Par chance, son emploi d’hôtesse d’accueil au pied d’une tour de bureaux lui laisse du temps pour creuser tout ça ! Et nous faire profiter de ses réflexions.
Il y a tout de même une chose sur laquelle on ne sait rien : « vous ne pouvez pas savoir comment c’est d’être mort. »
Gaëlle Obiégly, Totalement inconnu, Christian Bourgois, 240 pages
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