• Clichés marseillais #06

    Clichés marseillais #06 

    Menpenti - Ceux qui viennent du large

    « Marseille appartient à qui vient du large »
    Blaise Cendrars

    Clichés marseillais- Pas trop court sur le dessus, Marie, qu’après on me voit le crâne et que j’y attrape des coups de soleil ! C’est que des cheveux, j’en ai eu, mais maintenant y en a plus guère… On peut pas être et avoir été, pas vrai ?
    - Sûrement, Madame Colombani.
    - Tè, vé, qui voilà : Madame Truqui. Et alors, vous gardez pas le petit, que c’est mercredi ?
    - Eh non, ils ont l’école aujourd’hui, ils rattrapent d’avance le vendredi parce qu’ils font le pont de l’Ascension.
    - Ah, ils font le pont, encore ? Les instituteurs, on dirait qu’ils travaillent dans les travaux publics, tellement ils en font, des ponts ! Et en plus ils sont de longue malades. Ceux-là, on voit qu’ils sont pas à leur compte… Quand j’avais le magasin, jamais j’ai été malade, moi. Et les vendeuses, pareil. Dès qu’il y en avait une qui manquait, c’était pas compliqué : Tu es malade, Nine ? Eh ben va te reposer au chômage ; ici c’est plus la peine que tu retournes. Ça leur a vite passé, la maladie ! J’ai pas raison Marie ?
    - Sûrement, Madame Colombani.
    - Bon, quand même, tu peux en couper un peu, hein ? Tu veux me faire revenir la semaine prochaine ou c’est tes ciseaux qui coupent plus ?
    - Je suis en train, Madame Colombani, je suis en train.
    - Tu es en train ? Alors tu as de la chance, parce que les trains, ils circulent plus beaucoup. Ceux-là, là, les cheminots, quand ils sont pas malades, ils sont en grève. Et entention, ils sont en grève mais ils sont payés ! Tè, pas fadas ! Comment tu veux que le pays y marche, comme ça ? Y faudrait un bon coup de balai, c’est sûr. Tu es pas d’accord, Marie ?
    - Oh moi, le balai, dans le salon, j’arrête pas…
    - C’est sûr, tu travailles, toi, c’est pas comme ces feignants qui traînent toute la journée. Tu les as vus, devant Le Balto ? Le chômage, il a bon dos, va ! Du travail, si on en veut, y en a. Moi j’ai toujours travaillé : déclarée, pas déclarée, c’est pas grave, l’important c’est de travailler. J’en connais, des patrons, ils trouvent plus degun qui veut travailler. Les gars, ils viennent pour l’embauche, la première chose qu’ils demandent c’est les horaires, la mutuelle, les RTT. Tu le crois, toi ?
    - Moi j’ai Yasmina, l’apprentie, elle est sérieuse.
    - Oui, mais Yasmina c’est pas pareil. Je te parle des autres, là, tu sais bien ! Bientôt les patrons ils vont tous mettre la clé sous la porte et ils partiront à l’étranger. Même à eux on vient les emboucaner ! Quand c’est pas les Impôts, c’est l’URSSAF et quand c’est pas l’URSSAF c’est l’Inspection du travail. Tu veux pas qu’ils en aient marre, eux aussi ? Qu’est-ce que vous en dites, vous, Madame Truqui ?
    - Moi ma fille elle travaille à l’URSSAF, à l’accueil. L’autre jour elle s’est fait taper dessus par un patron qui devait des sous et qui voulait pas payer. Elle a encore une brave bouffigue sur la figure, il faut la voir !
    - Non, mais je dis pas ça pour votre fille, peucheure. Faut car même avouer qu’y en qui exagèrent. Et à part ça, Madame Truqui, vous êtes allée au Royaume, faire les commissions ?
    - Eh oui, faut bien manger… Mais le cabas il est de moins en moins lourd.
    - Ah mais c’est l’euro, ça ! ils nous ont bien eus, encore, là ! Regardez la baguette, elle valait un franc, maintenant c’est un euro. Mais les salaires, ils ont pas suivi. Et allez, ni vu ni connu je t’embrouille ! Avec l’Europe, on se fait toujours avoir. Une fois c’est pour les Grecs, une fois pour les Portugais, une fois pour les Espagnols. Il paraît qu’ils font faillite… Et nous, qu’est-ce qu’on y est pourquoi ?
    - Après, ils disent que ce sera les Italiens…
    - Ah mais les Italiens, c’est pas pareil ! Moi j’ai la famille là-bas, tu peux y aller, c’est des travailleurs. Quand ils travaillent pas, c’est qu’ils peuvent pas faire autrement. Mais bon, ils arrivent toujours à se débrouiller. Tu vois ce que je veux dire... Par contre, les autres, je te remettrais tout ça à la mer, et ouste, au large, on rentre à la maison ! Parce que bientôt, Marie, si on laisse faire, tu me crois ou tu me crois pas, mais Marseille, elle appartient à celui qui vient du large !

    (à suivre)

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