• Clichés marseillais #07

    Clichés marseillais #07 

    Menpenti - La playlist de Marie

    Clichés marseillaisImpossible de penser à elle sans entendre l’infinie bouillie musicale qui baignait en permanence le salon de coiffure. Très probablement la même que celle qu’on aurait pu entendre si l’on avait pu se trouver au même instant dans tous les salons du quartier, voire tous ceux de Marseille. Des morceaux qui s’enchaînaient sans qu’on se rendît vraiment compte que l’un succédait à l’autre. De la musique interchangeable.
    J’étais entré pour la première fois dans ce salon car je venais d’emménager dans le quartier et qu’en longeant l’avenue j’avais remarqué la coiffeuse qui m’avait paru fort accorte. Cette première fois, je ne distinguai, dans le fil sonore infini, que le vieux tube de Cabrel, « Petite Marie ». Je ne suis pas causant chez le coiffeur mais cette fois-là, pour ne pas passer pour un ours dès la première visite, je fis une remarque sur la chanson, comme quoi c’était un de mes titres préférés. La coiffeuse m’apprit alors qu’elle se prénommait Marie. La conversation était lancée.
    Je revins souvent voir Marie, jusqu’à ce que nos rencontres prennent un autre tour, mais ce n’est pas le sujet, je vous renvoie à d’autres écrits. Durant toute cette période, nos conversations tournèrent souvent autour de la musique. Elle n’était pas fan de celle qui était diffusée dans son salon, mais sa clientèle ne supportait pas autre chose. Dans l’appartement qu’elle occupait au premier étage, où nous nous retrouvions après la fermeture, elle écoutait des choses beaucoup plus audibles. Nous passions des soirées canapé, bercés par les multiples concerts de Keith Jarrett, Köln bien sûr, mais aussi Bremen, Lausanne et Londres. Le rituel obligatoire des fins de soirée, alors que nous étions au lit depuis pas mal de temps, consistait à mettre en boucle Summertime par Janis Joplin qui avait l’immense mérite de faire fondre Marie entre mes bras.
    A force de plaisanter sur l’ambiance musicale de ses journées, nous en vînmes à échafauder un plan d’enfer pour bousculer les petites dames qui venaient faire la couleur. Nous avons passé je ne sais combien de soirées à composer des listes dans iTunes, mélangeant la soupe habituelle à quelques perles moins convenues, poussant le vice à insérer les publicités qui rendraient plus crédible la supercherie.
    Un jour, nous nous sentîmes prêts, disposant de plusieurs dizaines d’heures d’enregistrement, copiées sur un iPod. Marie brancha l’appareil sur la mini-chaîne du salon. Ce matin-là, nous guettions Madame Colombani qui, entre deux réflexions sur les instituteurs toujours en congé et les cheminots toujours en grève, laissait agir une bonne couche de teinture acajou sur ses rares cheveux. Je faisais mine d’attendre mon tour dans le fauteuil de skaï blanc quand a retenti le hurlement de Arthur Brown dans Fire : « I am the god of hell fire and I bring you… ». Le bond de la pauvre vieille déclencha chez Marie un tel fou-rire que nous dûmes nous éclipser au premier étage, prétextant une forte odeur de gaz. Nous roulions sur le lit en essayant d’étouffer les rires de l’autre, ce qui ne faisait qu’empirer les choses.
    Ce n’est que lorsque Arthur Brown eût cédé la place à Michael Jackson que nous réussîmes à nous calmer et à redescendre pour rassurer Madame Colombani.
    Depuis, l’eau a coulé dans l’Huveaune, le sirop sonore dans la chaîne de Marie et nos relations se sont éteintes. Mais aujourd’hui encore, quand le ciel est trop bas et trop gris dans ma tête, je n’hésite pas à me repasser Arthur Brown. « You gonna burn... burn... burn... burn... burn... burn… »
    Rémission garantie.

    (à suivre)

    « Clichés marseillais #06 Clichés marseillais #08 »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :