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Clichés marseillais #03
Clichés marseillais #03
Menpenti - Le Bar des Miroirs, fin
Le Bar des Miroirs, ce n’est pas le genre qui se hausse du col. Il fait l’extrémité d’un pâté de maisons tellement pointu que le local n’a que trois murs. Il faut se glisser entre le comptoir et la vitrine pour accéder au tabouret coincé dans la pointe. De là, on prend tout le bar en enfilade. À droite, Jeannette déambule devant un choix limité de bouteilles plus ou moins défraîchies. Les pastis n’ont pas le temps de vieillir, mais l’étiquette du Fernet-Branca n’a plus de couleur et personne ne se souvient du dernier client qui en a bu, sans doute à la suite d’un pari stupide.
Après le bar, la chambre froide en bois, style glacière. Jeannette vient y puiser les cannettes de bière, l’eau pour le pastis et les rares sirops. Il y a beau temps que la tireuse à bière du comptoir n’est plus en fonction. Panne ? Manque de demande ? On ne sait pas et du coup on a le choix entre la Kro en bouteille ou le verre rempli à la bouteille d’un litre de Valstar. Et comme l’eau fraîche était dispensée par la tireuse, il faut maintenant remplir des carafes et les mettre au frais.
Sur le petit côté s’ouvre une porte minuscule donnant sur une cuisine. Même Jeannette, déjà pas bien grande, doit courber la tête pour ne pas cogner. C’est là qu’elle prépare son repas. Le reste de la salle est occupé par quatre tables.
Et puis il y a les miroirs qui ont donné leur nom au bar. Encore spectaculaires malgré les ébréchures et les écaillures. On dirait qu’on a voulu construire un modèle réduit des grands bars qui jalonnaient la Canebière d’avant-guerre.
Mais Menpenti n’est pas la Canebière. Ici, avant-guerre, c’était un quartier d’usines. Même qu’à la Libération certaines avaient été réquisitionnées par les ouvriers et les syndicats pour remplacer les patrons un peu trop compromis avec l’occupant. Le Bar des Miroirs accueillait les travailleurs pour le café du matin, l’apéro du midi, la bière du soir.Les usines ont disparu, remplacées par des bâtiments d’habitation. L’autoroute a coupé le quartier en deux. De ce côté, on trouve autour du Bar des Miroirs les bureaux de la Mutuelle des travailleurs et les petits commerces habituels. La droguiste, perdue au fond de son bric-à-brac, vend toujours savon de Marseille en gros blocs, garde-manger, débouche-évier, clous au kilo et tamis pour la soupe de poisson. Le poissonnier résiste aux grandes surfaces en alimentant quelques restaurateurs bien avisés. On y échange les recettes : « Le poisson, toujours le mettre à four froid, et on le laisse vingt minutes en chauffant jusqu’à 220°. Alors, qu’est-ce qu’on lui fait ? Ecaillé vidé ? Vous le prenez en revenant des légumes ? D’accord, à tout à l’heure. » Le Foyer du Peuple arbore les affiches pour le SMIC à 1 700 euros et la défense des centres de santé mutualistes. Y a-t-il encore un autre bar à Marseille où l’on trouve L’Humanité sur le comptoir, le mot Foyer écrit au stylo en capitales sur la première page ? On y tient quelques réunions avec des militants ayant connu la guerre, les jeunes retraités y font figure de jeunes tout court.
(à suivre)
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