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Clichés marseillais #02
Clichés marseillais #02
Menpenti - Le Bar des Miroirs, suite
Aujourd’hui, ils sont là tous les deux. Jeannette derrière moi, Công assis à sa table, dans le coin, étudiant les pronostics hippiques de La Provence. Samedi, onze heures, on pourrait s’attendre à voir la foule des habitués de l’apéro. Mais non, pas ici. Des habitués, il n’y en a plus guère. Le grand Lolo est là, mais il ne boit plus. Seulement le café, et un verre d’eau de temps en temps. Pourtant, il en a éclusé, des mètres et des mètres de môminettes ! Et c’est pas lui qui va mettre l’animation : un mot au quart d’heure, jamais plus. Il trimballe son mètre quatre-vingt-dix et ses 130 kilos de la barre à la porte, regarde la rue et revient. De longue. Il n’attend rien ni personne ; juste, il regarde. De toute façon, pas besoin de parler : Françoise s’en charge. À la table près de l’entrée, elle n’arrête pas. C’est Radio Menpenti ! Jamais contente, toujours à se plaindre et à critiquer : les chômeurs, les fonctionnaires, les Arabes, les jeunes, les grévistes, les voisins, tout le monde en prend pour son grade. Personne ne répond, mais elle s’en fiche, elle n’est pas là pour discuter : elle est là pour parler. Chez elle, toute seule, elle doit parler aux murs…
Ce matin, il y a aussi le type en noir. C’est Công qui l’a surnommé comme ça parce qu’il est toujours habillé de noir, que personne ne connaît son nom, qu’on ne sait ni ce qu’il fait ni où il habite. C’est « l’habitué occasionnel ». Il passe de temps en temps, s’assied à une table ou sur un tabouret, il n’est pas bien fixé. Si Công lui propose le journal, il y jette un coup d’œil rapide. Selon l’heure, le jour ou la météo, il commande un café, une bière ou un pastis. Le genre avec lequel on ne sait jamais sur quel pied danser. On ne peut pas le traiter en étranger parce qu’il a l’air de connaître les gens du quartier. Quand Mario, le pizzaiolo, ou Gé, le poissonnier, passent au bar, ils viennent le saluer. On leur a bien demandé qui c’était, mais personne n’en sait plus que nous. Si ce n’est qu’il mange des pizzas et du poisson. Moi je dirais plutôt qu’il est là pour faire passer l’heure, pour écouter et regarder en vidant lentement sa tasse ou son verre. Maintenant, il s’en va, onze heures et demie pile, comme chaque fois. On va encore se demander « D’où y sort çui-là ? » Et puis on retournera à la routine : un aller-retour pour Lolo, une vacherie pour Françoise, un coup d’éponge pour Jeannette.
(à suivre)
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Commentaires
1TchoaneLundi 11 Mai 2020 à 22:43TbienRépondre
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