• Le chat de la maison - M-J PUJOL

    En ce temps là, la vie me paraissait plus belle, la maison plus ensoleillée.
    Ma brave Ginette et mon bon Joseph veillaient sur moi, et répondaient à chacun de mes désirs.
    Sitôt avalé le petit bol de lait du matin, je répondais en ronronnant aux caresses de Ginette   pour lui prouver tout mon attachement.
    Bien sur, le père Joseph commençait déjà à trainer la jambe mais il avait toujours la vue assez acérée pour chasser, et l’ouïe assez fine pour entendre le moindre rodeur.
    Après la mort de mes anciens maîtres, c’est là que mes pattes m’avaient porté après trois jours d’errance. J’avais repéré le fer à cheval au dessus de la porte, et j’ai tout de suite compris que c’était une bonne maison, petite certes, mais tellement bien décorée par Ginette et veillée par Joseph. Il mettait un point d’honneur à faire pousser amandiers, figuiers et autres arbres décoratifs sur lesquels il veillait jalousement, malgré leur disposition aléatoire de haut en bas du jardin.
    Faut dire que, à partir du seuil, tout s’étalait en pente plus ou moins douce vers l’autre portail grillagé qui ne servait à rien.
    Ginette, c’était de sa vigne  dont elle était fière, elle enroulait les branches comme des serpents autour des fils de fer de la treille, et regardait s’enorgueillir les grappes d’un air satisfait que je lui voyais rarement.
    Faut dire qu’elle était dure au travail, elle s’activait dans sa petite cuisine derrière son évier en pierre noircie par l’usure pour gâter son Joseph qu’elle regardait manger à la dérobée. Quand ce n’était pas le linge dans la bassine en fer qu’elle frappait de toutes ses forces ou le carrelage rouge et éraillé qu’elle brossait avec entrain.
    Pour moi, le meilleur moment de la journée, c’était quand, éclairés par une faible lumière, tout deux se réunissaient  autour de la table en bois, Joseph tournait les pages de son journal en émettant quelques grognements, et ma Ginette recousait quelques bouton ou reprisait quelque chaussette.
    Assis aussi près que possible de la cheminée sans me faire roussir les poils,  et bercé par le piaillement du feu, une paix m’envahissait au point de fermer les paupières et de  tomber dans un sommeil réparateur.
    C’est dans ces moments là, que je goutais pleinement ma chance d’avoir été adopté par de si braves gens.

    Aussi, je défendais ma place avec témérité. Pas un seul chat des alentours ne se serait permis de traverser mon domaine, encore moins de faire le beau devant ma Ginette dont je connaissais que trop le bon cœur.
    Notre paix n’était altérée que par le chien idiot des voisins du dessus qui adorait hurler sans raison et les tourterelles roucouler à la saison des amours. Les amours, parlons-en, aucune chatte du quartier n’avait pu me résister, et je ne cherchais pas à reconnaitre les conséquences de mes galipettes! Bien que des énergumènes au poil tigré avec une pointe blanche sur le museau et les pattes de  même couleur me paraissaient suspects…
    Bien sur, je connaissais chaque coin du jardin avec ses petites bordures alignées d’iris et ses multiple marches qui commençaient je l’avoue à me casser le dos.
    Un coin pour le pipi, un autre pour autre chose, un autre pour dormir en sécurité tout en gardant un œil sur la maisonnée, encore un autre pour m’aplatir en guettant les pinsons dont je raffole.
    Et les saisons passaient…
    De temps en temps, leur fils Jean-Paul venait de la ville avec sa famille embrasser ses parents.
    Mais je voyais bien qu’il n’était pas comme eux : il ne coupait pas le pain avec un grand couteau sorti de sa poche, trouvait les figues trop petites et le raisin pas assez sucré.
    Ses regards pressés ne s’attardaient pas sur la floraison ni les quelques fruits téméraires et il   repartait bien avant la nuit vers sa ville, après mille promesses de retour.
    Ces soirs-là mes maîtres abrégeaient leur veillée, ils partaient se coucher sans dire un mot, le dos encore plus courbé que d’habitude.
    Un matin, le père Joseph n’eut pas le courage de se lever : une mauvaise bronchite a dit le médecin.
    Les humains ne savent pas que nous, les bêtes nous suivons leurs paroles sur les lèvres et d’après leurs mimiques.
    Je restais près de lui des longues heures en attendant que sa toux passe.
    Mais elle ne fit qu’empirer, et un matin, alors que je revenais de ma petite promenade du matin, j’entendis le cri de bête blessée de Ginette qui me fit dresser les poils sur la tête.
    Son mari ne bougeait plus, il était aussi blanc que le petit Pierrot quand il était tombé du cerisier. Mais l’enfant lui, gambadait à nouveau deux jours après, tandis que mon brave Joseph  resta  là, avec un drôle de sourire aux lèvres
    De ce jour là, je n’entendis plus jamais Ginette chantonner en regardant sa vigne prendre des couleurs, et ses robes devinrent aussi grises que la maison.
    Je voyais bien qu’à la veillée, le cœur n’y était plus, j’avais beau m’incruster sur ses genoux et ronronner plus fort que le feu, rien n’y faisait, ses yeux ne souriaient plus.
    Et puis, au début de l’été alors que j’étais en goguette depuis trois jours, occupé à séduire la belle Pouponnette de la maison d’en bas, la chose que je redoutais le plus au monde arriva.
    Quand je revins, la maison était pleine de gens aux yeux rougis et parlant à voix basse.
    C’est dans une grande caisse en bois que ma pauvre Ginette franchit le seul de sa cuisine.
    Ils fermèrent la porte de la maison, m’appelèrent plusieurs fois, puis s’engoufrèrent dans leur engin.
    Risquer de me faire écraser en ville ou mordre par des chiens ? Très peu pour moi.

    Je survécus grâce aux gamelles des uns et des autres qui, heureusement,  ne furent pas rancuniers à mon égard.

    Jean-Paul passait de temps en temps, il me prenait dans les bras, je me saoulais de son odeur et lui faisais des tas de câlins, mais, après avoir soupiré devant le jardin en friches, l’état du carrelage et des murs de la maison,  il repartait le regard perdu, après m’avoir laissé des tonnes de croquettes et de l’eau.

    Ce matin, mon cœur fit un bon de joie  quand j’entendis la serrure rouillée du portail vert s’ébrouer.
    Il était là avec des amis invités sans doute pour le samedi. Je n’en croyais pas mes yeux.
    Et quel bonheur de recueillir à nouveau des tas de compliments sur la beauté de ma pointe blanche sur le museau !
    Je faillis défaillir quand une odeur de tartes, de pizzas et de gâteaux envahit la cuisine.
    Aussi je préférais m’en éloigner pour ne pas succomber à quelque chapardage.
    Ils se séparèrent en deux groupes, l’un en face de la maison, l’autre plus pas, sous le gros marronnier. Et se mirent à faire des signes sur leurs cahier avec leur crayons, les mêmes que ceux de ma Ginette sur la liste de ses courses.
    Ils ne me jetèrent plus qu’un regard vide et j’attendis avec impatience le festin en me tenant prudemment près de la bordure d’iris.
    En, cela commença. Je redoublais de ronronnades entres les jambes, de légers mais discrets miaulements (on a sa fierté) et me gavait de leur gentillesse.

    Quant tout à coup la clochette du portail retentit.
    Jean-Paul revint en compagnie d’un homme vouté et tout de gris vêtu, aussi pâle que mon pauvre Joseph. A la fin du désert, il remit solennellement une grande enveloppe à Jean-Paul qui l’ouvrit devant toute l’assemblée.
    Ses lèvres se pincèrent un instant, puis il sourit et finit par exploser de rire en conviant l’assemblée à trinquer pour l’occasion.
    J’étais rassuré, et en déchiffrant les paroles de chacun, je compris qu’il n’avait plus de travail.
    Travail, n’est-ce pas le mot qu’il employait quand il partait vers la grande ville, « pour son travail  » ?
    J’en frémis jusqu’au bout des oreilles : et s’il revenait s’installer dans « notre » maison ?
    Soudain, une ribambelle de gosses jouant à cache-cache dans la cabane en plastic rouge m’apparut et la cuisine rajeunie exhala à nouveau  toutes les odeurs de viande et de poissons retrouvées.

    Et puis, surtout mon bol de lait du matin…
    On peut toujours rêver, non ?

    M-J  PUJOL

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