• Clichés marseillais #38

    Clichés marseillais #38

    Bruxelles - Europe rouge

    Clichés marseillais #38Un énorme amphithéâtre. 3 500 garçons et filles venant de toute l’Europe, des langues et des accents que Gigi ne connaît pas, ah si, là, il entend des Italiens, il va les saluer, Vous venez d’où ? Milano… Mantova… Bologna… Et toi ? Marseille ! Tu es au parti depuis longtemps ? Non, non, je ne suis nulle part, on m’a juste invité ! Ah ! Bravo !
    Dans quoi t’es-tu fourré, Gigi, se demande-t-il, et il est grand temps, maintenant que tu es à Bruxelles, à 1 000 kilomètres de chez toi, dans une conférence européenne – C’est quoi, l’Europe ? – de la IVe Internationale – Quoi ? – pour l’Europe rouge – Oh putain, les rouges ! – dans les locaux de l’Université libre de Bruxelles  – Au moins, je pourrai dire que je suis allé à l’université !
    As-tu bien fait d’accepter l’invitation de Roger ?
    Quand vous avez quitté Ber devant La Taverne, vous avez décidé de remonter à pied à Menpenti. Roger a envie de marcher, il prendra le bus là-haut. Est-ce le fait que l’entrevue avec Ber s’est bien passée, est-ce le litre de bière avalé sans rien manger, est-ce l’air frais du cours Julien ? Toujours est-il que Roger est euphorique.
    – Gigi, qu’est-ce que tu fais ce week-end ?
    – Ce week-end ?
    – Samedi et dimanche.
    – Oui, je sais ce que c’est, un week-end ! Ben, rien de spécial, je pense que je verrai Stella.
    – Bon, écoute : Stella, tu auras le temps de la voir. Ce week-end, tu viens avec moi à Bruxelles !
    – À Bruxelles ? Avec toi ?
    – Avec nous, l’organisation ! On monte en car à une conférence pour l’Europe rouge.
    – Une conférence pour l’Europe rouge ?
    – Tu vas tout répéter comme ça ?
    – Non, mais qu’est-ce que tu veux que j’aille faire à ta conférence ?
    – Ça va être génial ! On va rencontrer des militants de tous les pays d’Europe, on va parler de tout ce qui s’est passé depuis deux ou trois ans, ça bouge partout, 68 en France, en Tchécoslovaquie, 69 en Italie. Ça t’intéresse pas les grèves qu’il y a eu en Italie ?
    – Si bien sûr, mais j’y comprendrai rien avec tous ces étrangers.
    – Ce sera traduit, fada ! On aura des écouteurs avec des gens qui traduiront en direct, comme à l’ONU !
    – Je sais pas trop… J’ai pas vraiment l’argent pour ça…
    – C’est pas un problème l’argent, l’organisation prend tout en charge, on dormira sur place, il faudra juste prendre un duvet. Et puis, ce sera l’occasion pour rencontrer les camarades qui sont en train de se bouger pour toi ici. On pourra parler dans le car.
    – Ah oui, le car… C’est pas tout près, Bruxelles…
    – Bon, allez, c’est décidé ! On part vendredi à huit heures du soir de la Fac Saint-Charles. Je passe te prendre chez toi à sept heures et demie. On en reparle à la boîte. Je te laisse, tu es chez toi.
    – Tu veux pas monter boire un coup ?
    – Non, je veux pas déranger ta soeur.
    – Elle est au boulot, Claudine à cette heure-là.
    – Bon, ben… non, j’y vais. À demain !
     
    Et maintenant, Gigi est là, au milieu de ces gens qui chantent l’Internationale, et il chante aussi, et même qu’il chante en italien, parce que son grand-père Luigi la lui a apprise comme ça, et les camarades italiens rigolent et les camarades marseillais sont épatés, Gigi est leur nouvelle mascotte !
    Ils ont passé vingt heures dans le bus, dont trois à la frontière parce que la police française avait envie d’emmerder le monde. Ça devait faire quelques bus qui défilaient parce qu’à Bruxelles ils étaient plus d’un millier de Français ! Bon, les voilà arrivés dans une ambiance surchauffée, comme l’amphi bondé, des gens assis par terre, sur les marches d’escalier, des gens debout, des gens partout, une tribune où des types – ah si, tiens, y a une fille – se relaient au micro. On a donné à Gigi des écouteurs et un petit boîtier pour sélectionner la langue. Il écoute un peu tout, c’est marrant. Mais même en français, il ne comprend pas grand-chose. Alors il sort, il fait frais dehors, ça fait du bien, alors c’est ça Bruxelles, d’accord, et il marche un peu autour du bâtiment, il y a des tables couvertes de brochures et de livres, Roger lui a expliqué que ce sont d’autres groupes trotskystes qui viennent faire leur propagande.
    – Et vous les laissez faire ?
    – On s’en fout, ils ne sont rien du tout !
    Tout ça semble compliqué à Gigi. Tiens, ceux-là sont rigolos, ils lui parlent des extra-terrestres qui vont arriver sur terre et comme ils auront des supers fusées ou trucs dans le genre, ça veut dire qu’ils seront vachement plus développés que nous et donc, ils auront dépassé le capitalisme et ce seront des communistes ! Ah, d’accord ! Et en plus, ils ont derrière leur stand des affiches signées d’un certain Posadas qui cite un truc très intelligent qu’a écrit Posadas. C’est un autre ? Non, non, c’est lui… Ah, d’accord ! Je vais y aller, mon pote m’attend…

    Le soir, un sandwich en main, Roger présente Gigi à quelques camarades, Alain, très cool, Daniel, accent toulousain qui met en confiance, Henri, lui je l’ai entendu tout à l’heure, il parlait dans le micro, très classe. Gigi devient « un camarade ouvrier de Marseille qui vient de nous rejoindre ». Ah bon, j’ai rejoint quelqu’un ? Roger lui expliquera ensuite que ce sont les trois auteurs du livre qu’il compte lui prêter, sur Mai 68. Ah, d’accord !

    (à suivre)

    À suivre chaque jour sur https://www.facebook.com/jeanpaul.garagnon

    L'intégrale est à retrouver sur ce blog http://brigou.eklablog.com/cliches-marseillais-c31530712

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