• Clichés marseillais #18

    Clichés marseillais #18

    Noailles - Gigi rencontre Bernard

    Clichés marseillais #18En sortant de la menuiserie, Gigi remonte la sangle de la sacoche de gros cuir qui commençait à glisser de son épaule. Il transporte en permanence avec lui les outils du grand-père Luigi, il les préfère à ceux de l’atelier. Dans chaque éraflure de leurs manches il sent la main qui a travaillé un demi-siècle plus tôt. Celui-là, il avait quitté son village sicilien pour aller travailler comme menuisier à Milan avec un oncle, puis dans le bâtiment. Beaucoup de travail, un peu d’économies, suffisamment pour revenir un beau jour au village chercher une fille à marier. Une voisine de ses parents lui présente les dix ouvrières d’un atelier de couture. Il les rencontre une par une et pour finir il séduit la propriétaire de l’atelier et l’épouse. Et comme Mussolini n’est pas leur copain, ils s’en vont à Marseille.
    Ce soir, Gigi sort de l’atelier, il prend le bus sur l’avenue de la Capelette pour descendre en ville. Au terminus de la Préfecture, il continue à pied par la rue de Rome et Noailles. Au travail, il s’est lié avec Miguel, un vieil ouvrier anarchiste espagnol qui s’est mis en tête de faire son éducation politique. Il lui a présenté ses amis et Gigi passe régulièrement au local de la CNT, au-dessus de la Gare de l’Est. La CNT espagnole, hein, lui a dit Miguel, faut pas confondre avec les rigolos d’ici ! Gigi se passionne pour les discussions sans fin sur la Guerre d’Espagne, la Révolution russe, il découvre Bakounine, Durutti et des idées qui n’ont jamais franchi le seuil de la maison familiale où l’on admire plutôt Staline, Maurice Thorez et Jacques Duclos. Alors évidemment, ça a pété avec le père. On est en 1966, on rigole pas avec le Parti ! Gigi a fini par quitter la maison pour aller habiter chez sa sœur à Menpenti.

    Au local de la vieille Bourse du travail, il est accueilli par un homme qu’il ne connaît pas encore. Les présentations sont vite faites : Salut ! Salut, je suis Bernard. Moi c’est Jean-Jacques mais on me dit Gigi. Ah, c’est toi le fameux Gigi, Miguel m’a parlé de toi ! Devant Bernard, la table est couverte de photos grand format. Gigi voit des formes mais ne comprend pas de quoi il s’agit. Bernard a saisi son regard et perçu son incompréhension. Il lui explique qu’il est photographe au Port de Marseille. Les agrandissements qu’il est en train d’examiner représentent les graffitis peints par les ouvriers des chantiers sur les murs des bassins de carénage. Il y a aussi des marques laissées par les marins de tous les pays du monde qui s’ennuient à Marseille pendant les travaux. Gigi voit ça comme des peintures abstraites.

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